Du haut de l’ancien complexe touristique construit sur les bords du lac Sawa, dans la province d’Al-Muthanna, dans le sud de l’Irak, le désert s’étend à perte de vue. Eventrés, les bâtiments sont à l’abandon depuis l’invasion américano-britannique de 2003. « Jadis, il y avait de l’eau jusqu’aux berges, des poissons et des oiseaux. On venait se baigner, pique-niquer et se promener en barque sur le lac », se souvient, avec nostalgie, Abdallah, un chauffeur de taxi de 40 ans venu de Samawa, la ville voisine, pour profiter du calme du lieu en milieu de journée. Aujourd’hui, c’est tout l’écosystème de Sawa qui est menacé de disparition.
En avril, le lac s’est complètement asséché. Il s’était formé il y a plus de 5 000 ans près de l’Euphrate, à l’extrémité ouest de la vallée fertile de Mésopotamie qui s’étend jusqu’au Tigre, le berceau de la civilisation sumérienne qui a donné au monde l’écriture et l’agriculture. Au début de l’été, de l’eau a refait surface. Mais du lac, alimenté par la seule nappe phréatique qui remonte dans le sol à travers des crevasses et des fissures, il ne subsiste qu’une mare au milieu d’un cratère béant de cinq kilomètres sur deux. « Le lac Sawa n’est plus qu’à 5 ou 10 % de sa superficie initiale. Il ne reviendra jamais à son niveau d’avant. Si on arrive au moins à préserver cette surface, ce sera un accomplissement, confie Youssef Jaber, chargé de l’environnement pour la province d’Al-Muthanna.
Longtemps, le lac Sawa est resté stable. « Il est situé très bas, à six mètres au-dessus du niveau de la mer et à 200 mètres sous les plateaux désertiques environnants, ce qui lui permet de recueillir les eaux souterraines venant de Syrie et d’Arabie saoudite », explique Ali Hanoush, un expert agronome et ancien membre du conseil régional de Muthanna. Le site, unique en son genre, est protégé depuis 2014 par la convention de Ramsar relative aux zones humides. Situé dans une zone de cuvettes salées, formé sur des roches limoneuses et ceint de barrières de gypse, il agit d’habitude comme un régulateur climatique contre la désertification rampante dans la région. Ses eaux hébergeaient des crevettes et des petits poissons qui nourrissaient les oiseaux migrateurs faisant étape sur ses berges, dont des espèces vulnérables comme l’aigle impérial, l’outarde houbara et la sarcelle marbrée.
Images de désolation
Le niveau de l’eau a commencé à baisser en 2015. « Il y a des causes liées au changement climatique. Depuis trois ans, il n’y a pas eu de précipitations et les températures dépassent parfois les 50 °C à Samawa. De petits séismes ont fermé les sources qui alimentaient le lac », indique Youssef Jaber. L’activité humaine locale en est aussi responsable. Le manque d’eau dans la région intensifie la concurrence entre industriels, agriculteurs et éleveurs pour s’approprier la précieuse ressource. « Des puits ont été creusés illégalement dans le désert alentour pour des projets agricoles et des usines comme les cimenteries et la saline. Ils drainent beaucoup d’eau de la nappe phréatique qui alimente le lac, surtout la saline », poursuit le responsable local.
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