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Au Soudan du Sud, un vaste projet de dragage des marais inquiète les défenseurs de l’environnement

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Vue aérienne du Sudd au nord de l'Etat du Jonglei, au Soudan du Sud, en juin 2022.

Près de 800 000 déplacés, des champs engloutis par les eaux, des troupeaux décimés… Autrement plus ravageur que les traditionnelles crues saisonnières, un cycle d’inondations sans précédent dévaste, depuis 2019, les Etats sud-soudanais du Jonglei, d’Unité et du Haut-Nil. Le Sudd, immensité marécageuse qui s’étend sur 30 000 à 90 000 km2 selon les saisons, rogne un peu plus chaque année les terres habitables. Une situation catastrophique qui a relancé les projets de drainage du marais. Au risque, selon certains défenseurs de l’environnement, que le remède s’avère pire que le mal.

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Le Sudd asséché ? Le scénario paraît d’autant plus improbable que la zone, en cette période de saison des pluies, est complètement noyée. « Mais regardez ce qui s’est passé avec la mer d’Aral », met en garde John Akec, vice-chancelier de l’Université de Juba, la capitale sud-soudanaise, soulignant que c’est l’aménagement des canaux d’irrigation qui a conduit à la disparition quasi totale de ce grand lac d’Asie centrale. « Pour le Sudd, défend-il, il faut appliquer le principe de précaution, car nous n’avons pas toutes les données hydrologiques. »

D’après un rapport du ministère de l’environnement et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publié cette année, 49 milliards de m3 d’eau se déversent chaque année dans la plaine inondable du Nil – sorte de cuvette où convergent les bassins du Bahr Al-Jebel (au sud, en provenance d’Ouganda et du lac Victoria) et du Bahr Al-Ghazal (à l’ouest). La moitié de cette gigantesque réserve d’eau douce s’évapore et se transforme en pluies. Un phénomène qui suscita, au début du XXe siècle, l’intérêt de l’Egypte, alors sous domination britannique. Pour éviter que les eaux se perdent et accroître le débit du Nil, Anglais et Egyptiens imaginent un canal de 360 km entre les villes de Bor et Malakal. Abandonné, puis relancé dans les années 1970, le chantier est interrompu par les rebelles emmenés par John Garang en 1984, alors qu’il ne restait plus que 70 km à creuser.

« Ouvrir les voies de navigation »

Pour les Sud-Soudanais, alors en guerre contre Khartoum, le contrôle des eaux du Nil est une question de souveraineté. Pêche, élevage, fabrication de papier avec le papyrus, exploitation de la biodiversité par l’écotourisme ou encore achat de crédits carbone : le Sudd représenterait, selon les plus récentes estimations du ministère de l’environnement et du PNUE, une valeur économique de plus de 3 milliards de dollars annuels du fait des « services » qu’il fournit ou pourrait fournir. Avant les inondations des trois dernières années, un million de personnes en dépendaient. Le marais est la principale source de subsistance des peuples agropastoraux Dinka, Nuer, Shilluk… Leurs cultures et traditions y sont intimement liées.

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Classé depuis 2006 « zone humide d’importance internationale » et protégé par la convention Ramsar, l’écosystème du Sudd abrite en outre une très riche biodiversité. L’écorégion est en lice pour intégrer le patrimoine mondial de l’Unesco ainsi que le réseau mondial des réserves de biosphère. Oiseaux, mammifères, reptiles : les marécages sont un refuge pour de nombreuses espèces, comme le shoebill, ou bec-en-sabot du Nil (Balaeniceps rex), un grand échassier dont ne subsistent que 7 000 individus. « Malheureusement, très peu de gens ont entendu parler des zones humides du Sudd et de leur contribution significative à la régulation du climat, notamment par la séquestration du carbone », déplore Julius Banda, le directeur de l’Unesco au Soudan du Sud.

Le débat a été relancé en juin, avec l’arrivée dans le pays d’un long convoi transportant des équipements fournis par l’Egypte et acheminés via le Soudan. Du matériel destiné au dragage de la rivière Naam, un affluent du Nil obstrué par la végétation, indispensable, selon Tor Tungwar Kueiguong, sous-gouverneur de l’Etat d’Unité.

Un bec-en-sabot du Nil, ou « shoebill », grand échassier dont ne subsiste que 7 000 individus, vole au-dessus du marais près des îles de Kuernyapuol, au nord de l'Etat du Jonglei, dans le Sudd, au Soudan du Sud, en juin 2022.

« Nous sommes la province la plus affectée par la guerre civile [démarrée en 2013, à laquelle un accord de paix signé en 2018 peine à mettre un terme], rappelle-t-il. Environ 160 000 déplacés sont réfugiés au site de Protection des civils des Nations unies à Bentiu, mais, avec les inondations actuelles, ce chiffre a doublé. On s’est dit que le dragage de la rivière, qui est quelque chose d’habituel, permettrait à l’eau de s’écouler et aussi d’ouvrir les voies de navigation. Les gens ont faim et des vies sont en jeu. » Selon lui, l’opération fera émerger des « îles » permettant l’agriculture, dans un contexte de réduction de l’aide alimentaire du fait de la guerre en Ukraine.

« Un but caché »

Mais l’argument ne convainc pas Tag Elkhazin, ingénieur de formation et « observateur du Nil depuis plus de cinquante ans ». « Je n’ai jamais vu de pays qui se mette à creuser le lit de ses rivières pour lutter contre les inondations ! », tempête-t-il, estimant que le projet de dragage de la rivière Naam a « un but caché » : « Drainer l’eau du bassin du Bahr-Al-Ghazal [ouest] vers le Nil principal afin qu’elle aille en Egypte ». Selon l’universitaire canadien d’origine soudanaise, le matériel acheminé permettrait de creuser « de douze mètres » le lit des rivières, ce que ne nécessite pas un simple « nettoyage » des végétaux obstruant le courant.

Le projet a finalement été suspendu par le président sud-soudanais, Salva Kiir. Dans son allocution du 9 juillet à l’occasion du onzième anniversaire de l’indépendance, le dirigeant a déclaré « geler toute activité prévue de dragage dans la région du Sudd jusqu’à ce que des études crédibles soient conduites sur l’impact du dragage sur les communautés alentour et leur écosystème ». Un rapport a été commandé au ministère de l’environnement.

Une hutte servant à abriter le bétail est inondée, dans un village près des îles de Kuernyapuol au Soudan du Sud, en juin 2022. Les éleveurs se sont tournés vers la pêche pour subvenir à leurs besoins.

Joseph Africano Bartel, sous-secrétaire au ministère de l’environnement, chargé de l’étude, pointe d’ores et déjà qu’une initiative similaire à celle amorcée sur la Naam avait déjà été mise en œuvre par l’Egypte en 2010, près de la ville de Wau (ouest) : « La rivière Jur a été draguée et les étangs utilisés pour l’agriculture dans la zone sont aujourd’hui à sec, constate le responsable. Une fois que vous creusez, l’eau coule, et vous ne pouvez pas la faire revenir. »

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Ruot George, un journaliste « pro-dragage » originaire de Leer, au sud de l’Etat d’Unité, se dit néanmoins « déçu » et critique de ceux qui « accordent plus de valeur à la vie aquatique qu’à la vie humaine ». Il a fait partie des manifestants arrêtés et détenus pendant quelques heures à l’Université de Juba, où une consultation publique avait attiré, le 8 juillet, des centaines de partisans de la préservation du Sudd. « Ils n’ont pas déployé la même énergie pour aider les victimes des inondations », regrette-t-il amèrement.

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Written by Stephanie

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