Publié le 6 sept. 2022 à 7:00
Rien n’égale le zèle d’un converti. Dans les affaires d’antitrust et de régulation des grandes sociétés de la high-tech, Microsoft n’est plus le paria condamné en 2004 par l’Union européenne pour avoir imposé ses logiciels au sein du système d’exploitation Windows, dominant à l’époque. L’entreprise de Redmond ne veut pas non plus apparaître comme celle que la justice américaine menaçait il y a vingt-deux ans de découper en deux sociétés distinctes pour empêcher ses pratiques « prédatrices » sur le marché des navigateurs Internet.
Désormais, Microsoft joue le rôle du « monsieur Gentil » (« Mister Nice Guy ») de la tech. En tout cas pour ceux qui le comparent à Facebook, Google ou Amazon. Quand ces sociétés se défendent ou présentent des excuses d’auditions en auditions devant les élus aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni ou à Bruxelles, l’entreprise de Redmond ne perd pas une occasion de signifier sa bonne volonté.
Au crédit de Brad Smith
En coulisse, ses porte-parole vont jusqu’à suggérer des réglementations qui pourraient affecter, quoique de façon minime, les profits du groupe. Publiquement, l’entreprise a modifié fin août les conditions de licences de ses logiciels pour ouvrir un peu plus le marché à ses concurrents européens sur le marché de l’informatique en ligne. Après une plainte du français OVHcloud, la simple possibilité d’une enquête sur le sujet l’a fait changer de pied.
Mais c’est maintenant l’heure de vérité pour cette stratégie d’influence à mettre depuis plus de dix ans au crédit de Brad Smith, le président de Microsoft, parfois présenté comme le numéro deux du groupe après Satya Nadella. En Europe, la domination d’Amazon et Microsoft sur le marché très stratégique de l’hébergement en ligne des données pose question aux autorités de la concurrence. Par ailleurs, Microsoft sera concerné par les règles antitrust en cours d’implémentation du récent Digital Markets Act de la Commission européenne.
Menace anglaise sur le rachat d’Activision
Dans le monde entier, le rachat en cours par Microsoft de l’éditeur de jeu vidéo Activision pour 75 milliards de dollars est également scruté de toutes parts. Pas plus tard que la semaine dernière, l’autorité anglaise de la concurrence a ainsi indiqué à Microsoft qu’elle lui donnait cinq jours pour la convaincre de ne pas ouvrir une enquête approfondie (phase 2) sur cette opération qui serait la plus grosse de l’histoire du jeu vidéo.
Contrairement à ses rivaux dont la proactivité auprès des décideurs reste pour l’essentiel dans l’ombre, Microsoft avait pourtant dès l’annonce du rachat fait savoir que les jeux vedettes d’Activision, comme « Call of Duty », continueront d’être disponibles pour les détenteurs de consoles PlayStation, la rivale de sa Xbox.
Première victoire
Aux Etats-Unis, cette stratégie a déjà donné à Microsoft des alliés de poids. Si des sénateurs s’inquiètent, le plus éminent élu républicain à la Chambre des représentants sur ces sujets de compétition a déjà apporté son soutien au projet avec Activision. « Les assurances que j’ai reçues de Microsoft sont encourageantes », avait tweeté Ken Buck, l’un des critiques les plus acerbes des Big Tech à la Chambre des représentants, quelques heures à peine après l’annonce du deal.
D’après le « Wall Street Journal », le tweet est paru après un appel des équipes de Brad Smith. Et quelques mois plus tôt, le président de Microsoft avait soufflé à l’élu des questions acerbes à poser à Google et Facebook lors d’auditions publiques. Alors que le monde de l’antitrust s’interroge de plus en plus sur le bien-fondé d’avoir laissé Facebook racheter Instagram et WhatsApp, pouvoir envisager un tel rapprochement avec Activision est déjà une victoire pour Microsoft.