Joël Candau, anthropologue des odeurs, est professeur émérite au Laboratoire d’anthropologie et de psychologie cognitives et sociales (université Côte-d’Azur). Il est notamment l’auteur de Mémoire et expériences olfactives : Anthropologie d’un savoir-faire sensoriel (PUF, 2000).
On estime que la moitié des personnes ayant contracté le Covid-19, en 2021, ont souffert d’anosmie, c’est-à-dire de perte d’odorat. De quel mécanisme physiologique parle-t-on ?
L’odeur est un événement mental. Une expérience olfactive se décompose en trois temps. Il faut une source odorante, que ce soit une fleur ou des usines chimiques… De cette source vont se déplacer dans l’atmosphère des molécules odorantes, très nombreuses, dont nous ne sentirons que celles qui ont une certaine masse moléculaire – entre quelques dizaines et quelques centaines de daltons. La réception de ces molécules se fait au niveau de l’épithélium olfactif, zone qui tapisse l’intérieur de nos fosses nasales.
A ce moment-là, soit nous traitons l’information : depuis les neurones et les récepteurs olfactifs situés sur l’épithélium, le message passe à travers un tissu osseux qu’on appelle ethmoïde, criblé de trous, qui permet aux axones d’atteindre le bulbe olfactif. L’information est analysée et codée avant d’être dirigée vers plusieurs aires cérébrales. Nous avons alors une sensation, l’odeur. Soit nous ne traitons pas cette information, il s’agit d’anosmie.
En quoi la pandémie due au coronavirus a-t-elle été atypique ?
L’anosmie est un événement banal. Chaque individu peut être anosmique à une ou plusieurs molécules odorantes. Ce qui fait la spécificité de l’anosmie provoquée par le coronavirus est son caractère massif. La personne malade peut perdre la totalité de son sens. Une étude publiée dans Science Translational Medicine en mai 2021 décrit les mécanismes de ce dysfonctionnement : l’épithélium olfactif est un site majeur d’infection par le SARS-CoV-2 notamment les neurones olfactifs, les cellules de soutien et les cellules immunitaires.
Le marché des déodorants a drastiquement chuté entre 2020 et 2021 selon Nielsen, les télétravailleurs ayant réduit de moitié leur achat en matière d’hygiène beauté par rapport à la moyenne des Français. Quel est notre rapport à notre propre odeur ?
Stercus cuique suum bene olet (« A chacun plaît l’odeur de son fumier »), écrit Montaigne dans les Essais (III, 8). La plupart du temps, notre odeur personnelle ne nous gêne pas, mais par expérience de celle de nos semblables, nous savons qu’elle peut déplaire aux autres. Quand la vie sociale est normale, nous pouvons être culturellement habitués à masquer notre odeur en utilisant des produits cosmétiques. Mais, dans un contexte de confinement, cela ne nous semble plus indispensable.
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