A pied, à vélo, en transports en commun, en voiture ou en train. A quoi ressemble la mobilité des Français ? Et que peuvent-ils faire à quinze minutes de chez eux ? A l’occasion de la Semaine européenne de la mobilité, « Le Monde Cities » est allé sur le terrain à la rencontre d’usagers et d’experts. Des reportages et des enquêtes à retrouver en podcast et à l’écrit dans la série « Un quart d’heure en ville ». Cinquième épisode de ce dossier : le train.
De loin, on dirait le hall d’un petit aéroport. Quand on s’approche, la gare Calais-Fréthun (Pas-de-Calais) ressemble plutôt à un grand hangar en tôle. La dernière gare ferroviaire sur le continent avant le tunnel sous la Manche « est relativement inhumaine », déplore Elisabeth Chevrier, qui y passe tous les matins et tous les soirs.
Cette habitante d’un village de la Côte d’Opale travaille comme médecin dans plusieurs hôpitaux de Lille, à une centaine de kilomètres et vingt-cinq minutes de TGV. Elle est capable de lister, de tête, les services disponibles dans la gare : « Un distributeur de boissons et de friandises, des toilettes gratuites, un espace d’attente doté d’une prise électrique pour les téléphones, une boîte à livres, un point de retrait d’Amazon. » Et un vaste parking, agrandi en 2019 pour accueillir les véhicules des voyageurs toujours plus nombreux, qui, comme elle, font l’aller et le retour quotidiennement entre la côte et la métropole régionale.
La cafétéria, en revanche, a fermé « lors du premier confinement et n’a jamais rouvert », regrette l’usagère. « Elle était très pratique. On y trouvait des boissons, des journaux, des tickets de métro pour Paris, et parfois je laissais au commerçant mes clés de voiture, pour dépanner ma fille », raconte-t-elle.
Tout ceci ne fait pas une ville, mais offre, en un quart d’heure, de quoi occuper son temps. Les gares TGV en pleine campagne, baptisées « gares des betteraves » ou « gares lavande » selon les régions où elles sont implantées, ont été conçues pour relier des territoires ruraux ou des villes moyennes à des destinations lointaines. Depuis Le Creusot-TGV, sur la ligne à grande vitesse Paris-Lyon, mise en service en 1981, à Montpellier-Sud-de-France, inaugurée en 2019 dans la périphérie de la métropole héraultaise, ces gares témoignent d’une politique d’aménagement mêlant grande vitesse et attractivité économique.
Réserves foncières
Dès le lancement de la ligne Paris-Lyon, « la création de gares TGV au cœur d’espaces périurbains » dotés « d’importantes disponibilités foncières et d’une accessibilité routière performante fut aux yeux des collectivités locales une opportunité pour mettre en place des projets d’aménagement », écrivait la géographe Valérie Facchinetti-Mannone, maître de conférences à l’université de Bourgogne et autrice d’une thèse sur « la territorialisation des gares de la grande vitesse », dans la revue Géotransports en 2013.
On compte en France une vingtaine de ces gares « exurbaines », comme les ont baptisées les géographes, aux destinées diverses. Certaines sont vraiment plantées au milieu de la campagne, comme Meuse-TGV, et d’autres sont rattrapées par l’urbanisation, à l’image de Champagne-Ardenne-TGV ou Avignon-TGV. La gare Valence-TGV-Rhône-Alpes-Sud, idéalement située dans la vallée du Rhône, attire les entreprises grâce à Rovaltain, son parc d’activités spécialisé dans le développement durable. Le nombre d’emplois y est passé de 700 en 2010 à 2 300 aujourd’hui. Des hôtels hébergent la clientèle d’affaires et des restaurants proposent des plats standards aux employés. Une vraie ville périurbaine construite sur des terres agricoles. Oui, mais « une success story », complète la géographe.
A Mâcon-Loché-TGV ou TGV-Haute-Picardie, les activités économiques ne doivent pas grand-chose aux convois chargés de voyageurs qui passent à toute vitesse sans s’arrêter
En revanche, autour de Mâcon-Loché-TGV, de TGV-Haute-Picardie ou du Creusot-TGV, les activités économiques ne doivent pas grand-chose aux convois chargés de voyageurs qui passent à toute vitesse sans s’arrêter. « A Vendôme, les entreprises ont privilégié la proximité de la route départementale à celle de la gare », observe Valérie Facchinetti-Mannone. Ainsi, résume-t-elle, l’urbanisation des pôles TGV, avec ses succès et ses échecs, a suivi « la même logique que celle qui a prévalu, en France, autour des échangeurs autoroutiers, ou dans les zones d’activités ».
Bêtisier des ratés
Toutes les gares présentent en revanche un point commun, celui d’être mal reliées aux territoires environnants par les transports publics. La liste des ratés frise le bêtisier. A Fréthun, le lien avec la gare du centre-ville de Calais, située à 6 kilomètres, est assuré par train ou par car lors des départs ou arrivées d’un TGV pour Lille et Paris. En revanche, un bus qui desservait la commune touristique de Wissant, entre les caps Gris-Nez et Blanc-Nez, « a été supprimé », déplore Elisabeth Chevrier, qui reconnaît que « personne ne le prenait ». Devant la gare, un panneau prétend indiquer des « horaires de bus » d’une « ligne régulière », mais les informations qui y ont peut-être figuré un jour ont disparu.
La gare Lorraine-TGV a été délibérément construite à proximité de l’autoroute A31, qui relie Metz à Nancy, et non à Vandières (Meurthe-et-Moselle), là où la ligne à grande vitesse croise la voie de chemin de fer qui connecte les deux villes. « C’est un non-sens, qui résulte d’une guéguerre entre élus », proteste Louis Blaise, représentant de la Fédération nationale des associations des usagers des transports (FNAUT).
Une ligne de tramway dessert Montpellier-Sud-de-France, mais il faut marcher plus d’un kilomètre pour l’atteindre, et la capacité des tramways ne permet pas d’emporter la totalité des passagers d’une rame de TGV. Pour se rendre de Paris à Aix-en-Provence, mieux vaut monter dans le train jusqu’à Marseille puis emprunter le CarTreize, plutôt que d’attendre un hypothétique car à la gare TGV, située à une vingtaine de kilomètres de la ville. En revanche, le parking déborde littéralement.
Une « spécificité française »
Comme à chaque fois qu’elle doit payer, en réputation, des décisions prises par l’Etat, la SNCF se garde de tout commentaire. La branche de la compagnie ferroviaire qui gère les gares, Gares & Connexions, se contente de préciser que « l’intermodalité de ces gares avec les transports publics régionaux et locaux est avant tout de la responsabilité des collectivités locales et régionales ». Des élus locaux cherchent d’ailleurs à réparer les erreurs. Ainsi, le maire de Montpellier, Michaël Delafosse (PS), a annoncé que la ligne de tramway serait prolongée jusqu’à la gare en 2024.
« En France, la priorité semble être de desservir Paris le plus rapidement possible » Jon Worth, journaliste spécialiste des transports
« Ces gares des betteraves mal reliées aux réseaux de transports publics existants sont une spécificité française », affirme Jon Worth, enseignant et journaliste britannique basé à Berlin, qui a testé, au cours d’un long voyage estival dans les trains européens, les forces et les faiblesses des réseaux ferroviaires. « En France, souligne ce spécialiste, la priorité semble être de desservir Paris le plus rapidement possible. » Un défi difficile à relever, car « certaines gares ne bénéficient que de quelques liaisons par jour », souligne la géographe Valérie Mannone-Facchinetti. « Pour la SNCF, ces dessertes ne sont pas intéressantes, car elles ralentissent les trains et mobilisent des places qui pourraient être occupées par des voyageurs faisant le trajet de bout en bout », ajoute-t-elle.
Le concept semble toutefois appartenir au passé. La dernière gare exurbaine en date, Montpellier-Sud-de-France, a fait l’objet d’une forte contestation. Pour Valérie Facchinetti-Mannone, « ce modèle n’est plus compatible avec les objectifs de développement durable ».