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Au Brésil, un scrutin où se joue le sort de la forêt amazonienne


Agriculture, feux de forêt, mines, extraction de pétrole… la déforestation de l’Amazonie s’est aggravée sous le mandat de Jair Bolsonaro. Dimanche, lors des élections générales au Brésil, le président sortant d’extrême droite et climatosceptique affrontera son rival de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, qui, pendant la campagne, a pris position pour la protection de la nature et des peuples indigènes.

Les Brésiliens choisiront, dimanche 2 octobre, le cap que prendra leur pays pour les quatre prochaines années. Et ils décideront s’il sera plus écologiste. Car sur le plan environnemental, tout oppose les deux favoris à la présidentielle, le chef d’État sortant d’extrême droite Jair Bolsonaro et l’ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva. 

Jair Bolsonaro compte s’appuyer sur les forces armées pour lutter contre les feux de forêt et la déforestation en Amazonie. Dans son programme, le candidat du Parti libéral promet “des mesures de réduction de gaz à effet de serre” et reconnaît que le combat contre le changement climatique est “inexorable” pour préserver l’avenir de la planète. 

Des promesses qui peinent à convaincre les observateurs. “Le bilan de Jair Bolsonaro est catastrophique parce que son gouvernement était anti-environnemental. On est sur une idéologie ultra-libérale et pour lui, toutes les lois en faveur de l’environnement ne sont que des entraves à la production”, résume François-Michel Le Tourneau, géographe et directeur de recherche au CNRS. 

L’une des victimes les plus emblématiques de cette politique est la forêt amazonienne, dont 60 % de la surface se trouve au Brésil. Les signaux inquiétants se sont multipliés ces dernières semaines. Un regroupement d’organisations environnementales amazoniennes (RAISG) et la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (Coica) a dressé un constat alarmant, dans un rapport publié le 6 septembre : la forêt amazonienne est en train d’atteindre son “point de bascule”. Une fois qu’elle le franchira, elle ne sera plus capable de se régénérer et se transformera en un écosystème plus sec, comparable à celui d’une savane. 

Quand “l’agrobusiness” passe avant la planète

En cause, notamment : l’activité agricole qui a triplé depuis 1985 et qui est responsable à 84 % de la déforestation de l’Amazonie. L’ONG Greenpeace impute ce résultat à la politique de l’actuel président brésilien, ardent défenseur de l'”agrobusiness”. “Soutenus par Jair Bolsonaro depuis son arrivée au pouvoir en 2019, les agro-industriels mettent volontairement le feu à la forêt pour libérer l’espace nécessaire pour les cultures de soja et les élevages”, peut-on lire dans un communiqué. 

Les écologistes ont de quoi s’inquiéter. La plus grande forêt tropicale du monde a connu davantage de feux de forêt sur les neufs premiers mois de l’année que sur l’ensemble de 2021, d’après l’Institut national de recherches spatiales (INPE), un centre de recherche brésilien qui mesure la déforestation de l’Amazonie. 

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Ces incendies ont été particulièrement dévastateurs cet été : “en août 2022, plus de 33 000 foyers d’incendie ont été enregistrés, soit le nombre le plus élevé depuis 2010” et “près de 17 000 incendies ont été enregistrés au début du mois de septembre, en une semaine seulement”, rappelle Greenpeace. 

Interpellé sur le sujet jeudi, lors du dernier débat télévisé de la campagne, Jair Bolsonaro a nié en bloc. “Nous n’avons pas entendu parler de feux de forêt en Amazonie, à part ceux qui ont lieu habituellement”, a-t-il déclaré. Jair Bolsonaro, dont le père a été orpailleur en Amazonie dans les années 1980 est, par ailleurs, ouvertement favorable à un autre facteur de destruction de la forêt : l’expansion des activités minières, y compris dans des zones protégées comme les réserves indigènes. 

“Jair Bolsonaro et son gouvernement ont réussi à rendre inopérants les outils de l’État pour la protection de l’environnement, par exemple en coupant les financements du ministère de l’Environnement et de son bras droit, l’Ibama”, ajoute le chercheur François-Michel Le Tourneau. “Cela signifie que les autorités ne peuvent plus mener de contrôles sur le terrain. C’est exactement comme si on imaginait une autoroute sans aucun gendarme”, poursuit le spécialiste. 

Oublier les anciennes querelles pour “battre Bolsonaro”

En 2021, le budget consacré aux organes publics de préservation de l’environnement a, en effet, été divisé par trois par rapport à 2014, année où il était le plus élevé, selon une étude menée par l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), avec l’ONG Institut socio-environnemental (ISA).

Face à ce bilan peu reluisant, Lula a bâti son programme écologique en opposition à celui de son principal rival. Le candidat de gauche s’engage à mettre en place une politique de tolérance zéro contre l’orpaillage illégal, la déforestation et les incendies dans l’Amazonie. Il compte notamment s’appuyer sur des organes publics de préservation de l’environnement comme l’Ibama. 

Vingt jours avant la présidentielle, le candidat du Parti des travailleurs s’est aussi réconcilié avec son ex-ministre de l’Écologie, Marina Silva, afin de “battre Bolsonaro”. La rupture remonte à 2008, suite à un désaccord entre Marina Silva et Lula sur la construction de l’énorme centrale hydro-électrique de Belo Monte, dans l’État amazonien du Para. Un projet lancé par Lula et soutenu par Dilma Rousseff, à l’époque Première ministre. 

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Durant la première année de mandat de Lula, en 2003, la déforestation de l’Amazonie avait, en outre, atteint un record historique. Quelque 27 772 km2 de forêt avaient été rasés, soit deux fois plus que les 13 038 km2 sous Bolsonaro en 2021. Mais le gouvernement Lula était ensuite parvenu à réduire progressivement cette déforestation à des niveaux historiquement bas. En 2010, quand il a quitté le pouvoir, elle était quatre fois moins élevée qu’en 2003.

Aujourd’hui, sa réélection “permettrait d’éviter la disparition de 75 960 km2 de forêt amazonienne d’ici 2030, soit une superficie équivalente à celle du Panama”, conclut une récente étude menée par des chercheurs de l’université d’Oxford, de l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA) et de l’INPE pour le site spécialisé Carbon Brief. 

La réduction de la déforestation “permettrait également de réduire considérablement les émissions du Brésil si elle s’accompagnait d’un nouvel effort de restauration des forêts”, ajoutent-ils.  

Le chemin s’annonce semé d’embûches. “Même s’il y a espoir que Lula fasse des actions dans le sens de l’écologie, la déstructuration a été colossale et il y aura beaucoup de travail pour revenir”, a affirmé sur, France culture, Nathalia Capellini, historienne à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève.

“Ce qui va importer c’est de voir de quel bord pencheront les députés”

Si au Brésil, l’élection la plus déterminante est celle du président de la République, au total, cinq scrutins sont organisés dimanche. Les Brésiliens éliront, pour quatre ans, les députés des États, les députés fédéraux et les gouverneurs des États. Un tiers des 81 sièges de sénateurs sont aussi à pourvoir, pour huit ans. 

“Ce qui va importer, c’est de voir quel Congrès [composé de la Chambre des députés et du Sénat fédéral] va sortir et de quel bord pencheront les parlementaires”, explique François-Michel Le Tourneau. “Le Congrès brésilien est généralement très fragmenté et le lobby agricole est très puissant donc il est fort à parier que cela déterminera la future politique environnementale, dans les deux cas, pour Lula et Bolsonaro”, poursuit le géographe.

“À mon avis sur le plan légal, il ne va pas se passer grand-chose mais ce qui pourrait changer, avec la réélection de Lula, c’est que la loi brésilienne sur la préservation de l’environnement soit enfin appliquée”. Un grand pas pour le climat, après quatre années de présidence Bolsonaro. 

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