Ils étaient au moins deux groupes à vouloir bloquer, ce week-end, les raffineries de TotalEnergies. Mais pour des raisons opposées. En Belgique, les militants de Code rouge, association écologiste et anticapitaliste, ont campé symboliquement devant les deux usines du pays pour exiger que le géant pétrolier sorte enfin des énergies fossiles. De l’autre côté de la frontière, les salariés CGT sont en grève, au contraire, pour que l’activité se développe et qu’ils touchent une juste part des profits exceptionnels que va encore engranger la compagnie en 2022.
Les files d’attente devant les pompes à essence ont démontré la sensibilité du sujet : 80 % des Français ont une voiture et un sur deux habite dans une maison individuelle, souvent loin des transports en commun. Le soulèvement des « gilets jaunes », parti, fin 2018, d’une hausse des prix de l’essence, montre l’inflammabilité du sujet. La sortie du pétrole de TotalEnergies ne risque donc pas de s’effectuer du jour au lendemain, même si l’on peut regretter son manque d’entrain à le faire.
D’autant que l’on ne prend pas le chemin de la désintoxication. La ristourne sur les prix du carburant, additionnée à celle de TotalEnergies, a même eu l’effet inverse : la ruée sur l’essence. Même les Belges ont passé la frontière pour s’approvisionner à Leclerc ou à Intermarché, à Tourcoing (Nord). En matière d’incitation à la sobriété, on a connu plus efficace.
Montée en puissance du diesel
Un tel pataquès est d’autant plus facile à provoquer que les capacités de raffinage en Europe sont en baisse constante depuis près de vingt ans et sont devenues extrêmement dépendantes des importations, notamment de la Russie. En cause, la baisse de la consommation de produits pétroliers, due, notamment en France, au parc nucléaire, qui a converti le pays au chauffage électrique, et à la montée en puissance du diesel, qui s’est imposé, durant les années 1990, jusqu’à devenir majoritaire dans le parc automobile.
Comme les raffineries produisent toujours la même quantité d’essence et de diesel par litre de pétrole, elles se sont retrouvées en surplus de l’un et en déficit de l’autre. Ces dernières années, la France importait donc 50 % de son diesel et exportait 40 % de son essence, dans un contexte de montée en puissance du raffinage en Russie, dans le golfe Arabo-Persique ou en Inde.
Résultat, des fermetures en masse – plus d’une quinzaine en quarante ans – et une activité en perte chronique, sauf en 2021. L’essor programmé de la voiture électrique ne risque pas d’inverser la tendance. L’équilibre entre l’offre et la demande sera donc de plus en plus fragile… et politique.