Le réchauffement climatique pourrait libérer des virus jusqu’ici emprisonnés dans la glace de l’Arctique et déclencher des pandémies qui toucheraient les animaux, les plantes, les champignons et potentiellement l’humain, révèle une nouvelle étude de l’Université d’Ottawa.
Pour se reproduire et se répandre, les virus ont besoin d’un hôte – humain, animal, plante ou mousse. Ils utilisent, au besoin, un hôte dépourvu d’immunité, comme l’a montré la récente pandémie de COVID-19.
Des scientifiques canadiens ont cherché à savoir si les changements climatiques pourraient favoriser un tel scénario dans l’environnement arctique du lac Hazen, à l’extrême nord du pays, où la fonte des glaciers s’est accélérée avec l’augmentation des températures.
Rappelons que l’Arctique s’est réchauffé près de quatre fois plus vite que le reste du monde lors des 40 dernières années, selon une étude publiée dans la revue Communications Earth & Environment du groupe Nature, en août dernier.
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«Le lac Hazen est le plus grand [lac] de l’Arctique, alimenté par un certain nombre de glaciers de différentes tailles», précise le professeur associé au Département de biologie de l’Université d’Ottawa, Stéphane Aris-Brosou, qui a supervisé l’étude.
L’étendue d’eau était donc un terrain de jeu tout désigné pour cette recherche, mentionne-t-il, puisque l’accélération de la fonte des glaciers a aussi accru la quantité de sédiments qui y sont transportés.
«Cela va mettre en contact des hôtes et des virus qui ne l’auraient pas été normalement», précise Audrée Lemieux, de l’Université de Montréal, la première auteure de l’étude.
De nouveaux hôtes pourraient être infectés
L’équipe de l’Université d’Ottawa a prélevé des échantillons du fond du lac Hazen ainsi que du lit d’une rivière qui l’alimente à la fonte des glaces pendant l’été.
L’opération a nécessité le forage de 2 m de glace avant d’atteindre le fond des eaux du lac, à presque 300 m de profondeur.
À l’aide de cordes, une motoneige a hissé les sédiments, qui ont ensuite été séquencés pour leur ADN et leur ARN – le code génétique et l’outil de réplication du vivant – grâce à un algorithme mis au point par Audrée Lemieux.
Les résultats laissent croire que les changements climatiques pourraient engendrer l’infection de nouveaux hôtes en Arctique.
«Si les changements climatiques venaient à déplacer vers le Nord des espèces pouvant agir comme réservoirs [à virus], le Haut-Arctique pourrait devenir propice à l’émergence de pandémies», fait valoir le professeur Aris-Brosou.
Il estime que les résultats ne permettent pas d’exclure un scénario du type Ebola ou SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, comme de nouveaux hôtes non immunisés pourraient être exposés à ces pathogènes.
«La probabilité d’événements dramatiques reste très faible», nuance toutefois Audrée Lemieux.
«Il est peu vraisemblable que les humains soient touchés, comme il n’y a pas vraiment de population qui vit en Haut-Arctique. Les virus risquent plus d’infecter les plantes ou les champignons. Mais c’est une possibilité que les infections se transmettent aux espèces de la mégafaune présentes sur le territoire, comme le bœuf musqué ou certains oiseaux migrateurs», ajoute M. Aris-Brosou.
Déplacement des espèces
Le risque pourrait toutefois s’accroître avec la poursuite du réchauffement climatique, si de nouveaux hôtes s’aventurent dans des régions auparavant inhospitalières.
«Il pourrait s’agir aussi bien de tiques que de moustiques ou d’autres animaux, mais aussi des bactéries et des virus», détaille Audrée Lemieux.
La grippe aviaire, qui continue de s’étendre au Québec, ou la maladie de Lyme transportée par les tiques sont des exemples des conséquences de la hausse des températures sur la propagation des infections.
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«C’est du jamais-vu. On a des cas rapportés d’influenza aviaire du sud de la Floride jusqu’au nord de l’Alaska. C’est un niveau de contamination et d’infection de la faune sauvage sans précédent», lance le Dr Jean-Pierre Vaillancourt, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.
La présence de H5N1 a été détectée dans plusieurs fermes de volaille de la Montérégie et de l’Estrie dans les dernières semaines, alors qu’une deuxième vague de grippe aviaire frappe le Canada.
Et pour l’instant, ce sont les changements climatiques qui sont montrés du doigt.
«Il n’y a pas d’autres théories que les changements climatiques à l’heure actuelle, confirme le Dr Vaillancourt. Le déplacement d’animaux crée des rencontres fortuites et inhabituelles entre différentes espèces. D’autres mammifères sont aussi infectés par cette grippe aviaire. Des renards, des moufettes et des visons ont été en contact étroit avec des oiseaux sauvages infectés, et ils en meurent.»
— Avec l’AFP