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« L’œuvre des “Tournesols”, aspergée de soupe, n’est pas vraiment visée, c’est le musée qui l’est »


Vendredi 14 octobre, à la National Gallery de Londres, deux jeunes femmes ont aspergé de soupe les Tournesols, de Vincent Van Gogh, avant de se coller la main au mur, de part et d’autre du tableau. Filmées, elles ont eu le temps de prononcer un bref et vibrant discours : « Qu’est-ce qui vaut le plus ? L’art ou la vie ? (…) Etes-vous plus inquiets pour la protection d’une peinture ou pour celle de la planète et de sa population ? » Activistes écologistes dans le mouvement Just Stop Oil, elles inscrivent leur geste dans une série d’actions qui prennent pour cible des tableaux exposés dans des musées.

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Le 30 mai, un homme projette une tarte à la crème sur La Joconde au cri de : « Il y a des gens qui sont en train de détruire la Terre. Tous les artistes, pensez à la Terre » ; un mois plus tard, deux militants de Just Stop Oil (déjà) s’engluent au cadre Pêchers en fleurs de Van Gogh (déjà) à la galerie Courtauld, à Londres ; le 24 juillet, ce sont deux activistes d’Ultima generazione qui se collent au Printemps de Botticelli, à la galerie des Offices à Florence ; enfin, le 9 octobre, deux membres d’Extinction Rebellion en font autant sur Massacre en Corée, de Pablo Picasso, exposé au musée de Melbourne.

Vandalisme politique

Ces performances, qui prennent le musée pour cadre et un tableau pour objet, renvoient à un illustre précédent. Le 10 mars 1914, Mary Richardson, militante pour les droits civiques des femmes – suffragette, comme on disait alors –, s’est rendue à la National Gallery et a lardé de neuf coups de machette La Toilette de Vénus, de Diego Velazquez, endommageant gravement la toile, réparée depuis. La comparaison avec l’action des deux jeunes femmes, qui se réfèrent explicitement à celle de leur aînée, fait apparaître des échos, mais aussi des divergences, modifiant sensiblement à la fois le sens et la portée du vandalisme politique en chacune de ses manifestations singulières.

Mary Richardson a justifié son acte à plusieurs reprises. Lors de son arrestation et pendant le procès, elle oppose beauté morale et beauté physique. En s’attaquant à Vénus, « la plus belle des femmes », elle avait voulu venger Emmeline Pankhurst, « la meilleure des femmes », leader du mouvement suffragiste, maltraitée en prison.  « La justice, commentait-elle, est un élément de la beauté, bien plus que la couleur et les lignes sur une toile. »

Presque quarante ans plus tard, dans son autobiographie (1953), revenant sur son geste, Mary Richardson en donne deux nouvelles raisons, moins philosophiques et d’un symbolisme plus prosaïque. Le tableau, acquis par souscription publique en 1906, avait une valeur marchande élevée et connue : elle avait, dira-t-elle, voulu « établir un parallèle entre l’indifférence du public pour la lente destruction de Mme Pankhurst et la destruction d’un objet financièrement précieux ». Enfin, elle confiera avoir été gênée par les regards concupiscents des amateurs d’art sur le corps nu de la déesse. La peine maximale encourue à l’époque pour une action de vandalisme comme celle de Mary Richardson était de six mois de prison. Elle sera cependant libérée en août 1914, à la faveur d’une amnistie générale des suffragettes.

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