L’année dernière, les scientifiques chinois révélaient que la Lune aurait connu un épisode volcanique relativement tardif, repoussant d’un milliard d’années l’activité magmatique de notre satellite. Dans une nouvelle étude, ils proposent désormais un mécanisme pour expliquer ce processus de fusion sur une Lune pourtant déjà bien refroidie.
Il y a deux ans, l’atterrisseur chinois Chang’e 5, présent à la surface de la Lune, repartait vers la Terre avec à son bord de nombreux échantillons de roches lunaires qui avaient créé la surprise lors de leur analyse. La surface de la Lune est en effet composée de roches volcaniquesroches volcaniques très anciennes, formées alors que notre satellite était encore jeune et chaud.
Mais alors que les échantillons rapportés par les différentes missions Apollo (USA) et Luna (URSS) pointaient tous sur un âge minimum de trois milliards d’années, suggérant que la Lune n’aurait ensuite plus connu de nouvel épisode magmatique, les roches rapportées par Chang’e 5 seraient bien plus jeunes. Les échantillons ont en effet été datés à moins de deux milliards d’années.
Une Lune refroidie mais pas totalement morte
Loin d’être morte géologiquement parlant, la Lune aurait donc connu un épisode volcanique relativement tardif. L’origine et les mécanismes de cette activité volcanique étaient cependant encore très mystérieux. Car, pour produire du magmamagma il y a « seulement » deux milliards d’années, le manteaumanteau lunaire aurait dû soit subir une augmentation de la température, soit un abaissement de son point de fusion. La première hypothèse semblant invraisemblable dans le cadre d’une Lune depuis longtemps refroidie, encore fallait-il démontrer la seconde.
Dans un article publié dans la revue Science Advances, des chercheurs chinois se sont donc penchés sur cette épineuse question. Ils se sont donc d’abord attelés à contraindre les conditions de fusion des basaltesbasaltes récupérés par Chang’e 5, c’est-à-dire à retrouver les valeurs de température et de pressionpression sous lesquelles les roches du manteau lunaires se sont mises à fondre puis à cristalliser.
Une fusion réalisée à plus faible température
Grâce à des simulations de fusion puis de cristallisation fractionnéecristallisation fractionnée, les scientifiques ont comparé les échantillons de Chang’e 5 avec ceux d’Apollo. Les résultats montrent notamment que le magma à la source des basaltes âgés de deux milliards d’années aurait eu une teneur plus élevée en oxyde de calciumcalcium (CaO) et en dioxyde de titanedioxyde de titane (TiO2) que les magmas ayant donné naissance aux roches récoltées par Apollo. Ce changement de composition pourrait s’expliquer par la fusion de roches enrichies en calcium et en titane, comme peuvent l’être les cumulats formés les plus tardivement.
Les cumulats sont des roches plutoniquesroches plutoniques résultant du dépôt de cristaux dans le fond d’une chambre magmatiquechambre magmatique lors d’un précédent épisode volcanique. Ces cumulats concentrent ainsi certaines phases minérales spécifiques qui n’ont pas été évacuées avec le magma lors du premier épisode volcanique. Or, cette composition chimique des cumulats peut modifier les propriétés de fusion des roches du manteau. En étant remaniées au sein du manteau lunaire, ces roches enrichies en calcium et titane auraient ainsi abaissé le point de fusion, permettant un nouvel épisode volcanique tardif alors que la Lune était déjà nettement refroidie.
Un refroidissement de 80° C en un milliard d’années
Les données montrent d’ailleurs que le magma aurait été produit à une profondeur similaire à celle des magmas plus anciens, mais à une température inférieure de 80° C.
Cette étude présente la première hypothèse sérieuse pour expliquer l’origine du volcanismevolcanisme « récent » de la Lune. Ces résultats permettraient également de mieux contraindre l’évolution thermique et magmatique de la Lune au cours du temps. En un milliard d’années, il apparait ainsi que le manteau lunaire se serait refroidit de l’ordre de 80° C.
Le 1er décembre 2020, la Chine faisait un nouveau pas dans l’exploration lunaire grâce à la sonde Chang’e 5, qui se posait en douceur sur notre satellite naturel. Au-delà du fait de confirmer une maîtrise technique, la mission avait un réel objectif scientifique : ramener des échantillons de roches lunaires pour les dater et étudier leur composition.
Article de Morgane GillardMorgane Gillard, publié le 16 octobre 2021
Le 16 décembre 2020, la capsule Chang’e 5 transportant près de deux kilos d’échantillons s’est posée en Mongolie, faisant entrer la Chine dans le top 3 des pays ayant ramené des roches lunaires sur Terre. Dans un article paru récemment dans Science, une équipe internationale, menée par Xiaochao Che, présente les premiers résultats concernant ces échantillons.
L’importance de dater de nouveaux échantillons lunaires
Chang’e 5 s’était posée au milieu d’une région nommée Océan des TempêtesTempêtes, une immense plaine basaltiquebasaltique que les chercheurs suspectaient être relativement jeune. Le but de la mission a donc été de récupérer des échantillons de basaltes afin de pouvoir les dater et connaître leur composition. L’intérêt de cette étude est double : définir l’âge absolu des basaltes de cette région afin d’affiner la chronologie des impacts lunaires, et déterminer l’origine de ce magmatisme (relativement) récent.
La connaissance de l’âge de ces roches est une considération pour le moins importante. Il faut savoir que sur la Lune, la datation des surfaces se fait habituellement par chronologie des impacts lunaires. La Lune est en effet un corps sans érosion, ce qui implique que les traces des impacts météoritiques ne sont pas progressivement effacées comme sur Terre, à moins d’être détruites par un nouvel impact ou recouvertes par une coulée de lavelave.
Sur la Lune, la densité de cratères d’une région reflète donc le temps écoulé depuis la formation du sol : plus la densité de cratères est élevée, plus la surface lunaire dans cette région est vieille, et inversement. Cette méthode permet d’établir une chronologie relative des surfaces. La corrélation avec les âges des échantillons rapportés sur Terre par les différentes missions permet d’obtenir alors une relation âge/densité de cratères. Ceci permet de faire des estimations d’âge sur des zones non échantillonnées, c’est-à-dire à peu près toute la surface de la Lune… car la quantité d’échantillons rapportée reste pour l’instant très faible. Cette relation âge/densité de cratères permet également de dater les surfaces d’autres planètes, dont Mars, en appliquant bien sûr un certain nombre de corrections. La méthode basée sur les cratères de la Lune a ainsi permis de déterminer la chronologie de tous les événements de notre Système solaire.
Dans ce contexte, connaître avec précision la chronologie des impacts lunaires est essentiel. Elle était pourtant jusqu’à présent très peu contrainte pour la période de moins de 3 milliards d’années, notamment à cause du manque d’échantillons.
Des échantillons témoignant d’un volcanisme relativement récent
Le but des chercheurs a donc été dans un premier temps de dater les échantillons de basaltes lunaires récupérés grâce à la mission Chang’e-5. La composition minéralogique des basaltes a ensuite été déterminée dans le but d’expliquer l’origine de cette formation volcanique.
L’âge des basaltes serait ainsi de 1,96 milliard d’années, ce qui rajeunit la surface de cette zone d’un milliard d’années environ. Une nouvelle valeur qui permet d’affiner les courbes âge/densité de cratères pour cette période. Ces résultats impliquent également que près de 2.000 km3 de laves basaltiques ont été éruptés à proximité du site d’atterrissage de la sonde et ce sur une période relativement récente, ce qui est surprenant. En effet, expliquer un volcanisme aussi récent sur un corps aussi petit que la Lune est particulièrement compliqué.
L’étude minéralogique de ces basaltes suggère que le magma d’origine a subi un faible degré de fusion partiellefusion partielle et/ou que la cristallisation a été très fractionnée.
Quelle est donc l’origine de ce magmatisme récent ? Les chercheurs avancent plusieurs hypothèses. Une possibilité est que la forte concentration en éléments radioactifs dans certaines zones du manteau lunaire aurait produit des anomaliesanomalies thermiques de longue duréedurée qui auraient favorisé la fusion et généré les basaltes recueillis par Chang’e 5. Mais cette hypothèse est encore difficile à étayer à partir des données récoltées. Ce volcanisme pourrait également être lié à la chaleurchaleur interne induite par les effets de marée, ou bien à une minéralogie particulière du manteau induisant des températures de fusion plus faible.
À ce jour, les processus capables d’engendrer de la fusion et une source de magma à ce stade de l’histoire de la Lune restent inconnus.