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« Plus la pratique diminue, moins elle est admise et comprise »

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Alors que la dernière campagne présidentielle a démontré combien le sujet de la chasse cristallisait de vifs débats sur les dangers et la légitimité de cette pratique, le gouvernement a présenté, mardi 25 octobre, une « feuille de route pour améliorer et garantir la sécurité à la chasse » . L’exécutif envisage notamment d’instaurer un délit d’alcoolémie et possiblement des demi-journées sans chasse dans certaines régions ; des arbitrages prudents, qui peinent à satisfaire les deux camps s’opposant sur le sujet.

Pour l’anthropologue Charles Stépanoff, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), ce débat à couteaux tirés illustre le paradoxe que « plus la pratique de la chasse diminue, moins elle est admise et comprise ».

L’auteur de L’Animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage (2021), explique au Monde comment les conflits liés à la chasse vont continuer de s’accroître dans les campagnes et pousser à une plus grande régulation des pratiques, touchant davantage « la chasse populaire que les chasses d’élite ».

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Comment expliquer que la chasse soit un sujet politique qui polarise autant l’opinion publique ?

Charles Stépanoff : La chasse est depuis l’origine de l’Etat un sujet éminemment politique, car elle pose la question de la souveraineté à travers la maîtrise du territoire et de la faune sauvage. Mais, depuis quelques années, nous assistons dans nos sociétés modernes à une évolution notable des sensibilités au sujet de la mise à mort des animaux, liée à la remise en question de nos rapports au vivant. On l’a notamment constaté avec les révélations sur les conditions d’abattage des animaux dans l’industrie alimentaire par des associations animalistes, qui ont choqué l’opinion. La chasse n’échappe pas à cette remise en cause.

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Selon vous, « la chasse choque parce que la mort est visible ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Ce qui dérange dans la pratique de la chasse, c’est effectivement la mise à mort en elle-même. Elle crée une forme d’inconfort, car, depuis l’ère industrielle, l’abattage des animaux a été progressivement invisibilisé de l’espace public et renvoyé hors des villes, en le confinant aux abattoirs, dans la logique de la pacification des mœurs analysée par Norbert Elias. De fait, la chasse déroge à ce principe de camouflage de la violence.

Si les accusations à l’encontre de cette pratique se sont intensifiées ces dernières années, elles ne sont toutefois pas nouvelles et remontent au Moyen Age. A l’époque, c’est la chasse vivrière paysanne qui est invectivée par l’élite, dont les pratiques de chasse sont, elles, institutionnalisées. Les débats d’aujourd’hui s’inscrivent dans cette continuité historique, puisque c’est principalement contre le piégeage paysan, soit les « chasses traditionnelles », que se focalisent les interdictions récentes et les réprobations morales, comme la chasse à la glu et la chasse au filet.

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Qu’en est-il des pratiques plus élitistes de la chasse, telles que la chasse à courre, très décriée par les écologistes et riverains des lieux de chasse ?

La chasse d’élite aujourd’hui, c’est plutôt la chasse capitaliste en parc privé que la chasse à courre, qui est devenue plus populaire au cours du XXsiècle.

Les heurts violents autour de la vénerie du cerf opposent les « suiveurs » des chasses, qui sont souvent ouvriers et forestiers, aux militants animalistes, plus diplômés et urbains. La multiplication des incidents, révélés souvent par des vidéos de cerfs traqués diffusées sur les réseaux sociaux, s’explique par le rapprochement des habitations et des forêts, en raison de l’étalement urbain. Ce qui choque particulièrement dans la chasse à courre est spécifiquement le procédé de traque et la ritualisation spectaculaire de la mort de l’animal.

Est-ce que la visibilisation plus forte des accidents de chasse participe à expliquer l’impopularité croissante de cette pratique ?

L’instauration de l’examen du permis de chasser, en 1976, a permis d’améliorer la sécurité, et pourtant les accidents dramatiques et mortels de chasse qui continuent de survenir rendent l’inquiétude légitime.

Il y a vingt ans, les accidents mortels étaient trois à quatre fois plus nombreux mais ils attiraient moins l’attention, du fait même de leur banalité. Paradoxalement, alors que le nombre de chasseurs a diminué de moitié en trente ans (autour d’un million de licenciés) et que les accidents sont devenus plus rares, nous n’avons jamais autant entendu parler de ces drames et nous n’avons jamais été aussi inquiets en nous promenant à la campagne.

Ce paradoxe est révélateur du fait que les chasseurs sont moins intégrés qu’autrefois dans le tissu local et que plus la pratique de la chasse diminue, moins elle est admise et comprise.

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Cela doit poser question aux chasseurs sur leur déconnexion avec les populations locales et leurs attentes, mais cela révèle aussi les conséquences des changements démographiques qui ont eu lieu dans certaines zones rurales. L’arrivée d’urbains, qui viennent s’installer dans certaines campagnes, vient confronter des pratiques culturelles et un rapport à la nature complètement différent de celui qui lui préexiste dans une population rurale traditionnelle. Ces visions divergentes entrent ainsi en conflit sur la question de la chasse, suscitant de l’incompréhension et un rejet moral des pratiques d’autrui.

Dans quelle mesure faut-il s’attendre à ce que les conflits se durcissent concernant le partage du territoire entre usagers ?

Le phénomène d’exode urbain va s’accentuer et rendre critique la coexistence entre des populations qui ont des usages, attentes et modes de consommation très différentes de la nature.

Pour les usagers de culture urbaine, la campagne, c’est un lieu de loisir et de contemplation,
appartenant à tous. Cette vision récréative n’est pas celle des personnes issues de culture paysanne, pour qui la campagne est un espace de production alimentaire issu d’un travail séculaire. Il y a donc une sorte de conflit en légitimité entre des porteurs d’éthiques de la nature très différentes.

Pour que la coexistence réussisse, elle nécessite une prise de conscience par chaque partie de leur complémentarité et de leurs réseaux d’interdépendance, comme le dirait le sociologue Bruno Latour. Le dialogue permettrait de trouver des solutions de régulation au niveau local, plutôt que soient imposées des décisions nationales inadaptées à la diversité et complexité des situations de terrain.

Etre écologiste est-ce forcément devenu incompatible avec la pratique de la chasse en France, selon vous ?

Ça l’est devenu très récemment, à travers le débat médiatique et partisan. Mais historiquement, si nous avons de grandes forêts domaniales, c’est un héritage des domaines de chasse des seigneurs et des rois. De fait, eux seuls trouvaient un intérêt à maintenir un monde sauvage face aux défrichements. Au XIXsiècle, des chasseurs ont été les premiers lanceurs d’alerte sur le déclin de certaines espèces du fait de l’assèchement des zones humides et les seuls défenseurs du loup. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a, par exemple, été créée par des chasseurs bourgeois au début du XXe siècle.

Mais il faut noter que les incompatibilités qui existent aujourd’hui en France entre chasse et écologie politique demeurent une exception en Europe. Chez nos voisins allemands et belges, la politique de protection des espèces sauvages est notamment fondée sur une coopération de terrain entre les associations écologistes et les licenciés.

Une régulation accrue des pratiques de chasse s’impose-t-elle de fait ?

La sécurité est une priorité pour tous, et les chasseurs vont impérativement devoir faire des efforts et des concessions. Il faut savoir que depuis la seconde guerre mondiale, la chasse est toujours plus contrôlée et disciplinée par l’Etat : la figure du braconnier a quasi disparu des campagnes. C’est une tendance de longue durée qui ne va pas s’arrêter.

Il faut aussi être conscient que les réglementations pèsent plus sur la chasse populaire que sur les chasses d’élite. L’interdiction de la chasse le dimanche sera la fin de la chasse campagnarde en famille et d’un certain rapport vivrier au terroir. En revanche, les grandes chasses capitalistes clôturées échapperaient à nouveau à ces restrictions. En Sologne, les forêts sont lacérées de milliers de kilomètres de grillage pour éviter les incidents avec les promeneurs. C’est un désastre qui montre que le dialogue est indispensable pour concilier sécurité et partage de la nature.

L’Animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage, de Charles Stépanoff, La Découverte, « Sciences sociales du vivant », 384 p., 23 €, numérique 16 €.

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