L’étude comparée des roches terrestres et des météorites a apporté de nombreux renseignements sur l’origine et l’évolution de la Terre, notamment sur la provenance possible de l’eau de ses océans. Les méthodes de la cosmochimie font aussi parler les météorites martiennes et elles racontent une histoire qui est sans doute similaire à celle de la Terre quant à l’origine de l’eau.
La noosphère ne cherche pas seulement à connaitre son origine sur Terre mais aussi sa place dans la Nature et pour cela, elle cherche à déterminer l’origine de l’eau sur Terre et si la Vie a pu apparaitre ailleurs dans le Système solaire. Mars est l’objet d’une attention toute particulière parce que nous savons, depuis les premières missions martiennes avec une mise en orbite autour de la Planète rouge (Mariner 9 et les sondes Viking) qu’il y a des traces d’écoulements d’eau à sa surface. Si nous découvrions en plus des traces de vie, passées ou actuelles en relation avec la présence d’eau sur Mars, nous pourrions en conclure que la naissance de formes de vie, pas plus que la formation des planètes, n’est un processus rare dans la Voie lactée.
Dans l’idéal, il faudrait pouvoir analyser des échantillons de roches martiennes avec tous les moyens dont on dispose dans les laboratoires terrestres. Le premier rover à avoir touché la surface de Mars en 1971 — il était soviétique et portait le nom de Prop-M — avait été largué à partir de la sonde Mars 3 et ne disposait pas des moyens de collecter des échantillons et encore moins de les renvoyer sur Terre. On espérait pouvoir le faire avec le Sample Fetch Rover qui récupérerait les échantillons déjà collectés par le rover Perseverance. Mais le retour sur Terre n’est pas prévu avant l’horizon des années 2030 et il se fera selon un scénario différent.
Trois grandes classes de météorites martiennes
Heureusement, il n’est pas besoin d’attendre si longtemps pour pouvoir analyser des roches martiennes et en tirer quelques conclusions. Depuis quelques décennies et grâce aux missions Viking nous savons que quelques météorites retrouvées sur Terre sont martiennes et on peut même en acheter pour quelques dizaines d’euros chez des vendeurs sérieux comme Louis Carion et Luc Labenne.
Il existe trois grandes classes principales de météorites martiennes (ALH84001 n’en fait pas partie). Elles tirent leur nom des localités à proximité desquelles des Hommes ont assisté à leur chute : celle observée près du village français de Chassigny en 1815, celle de Shergotty en Inde (1865) et celle de Nakhla, en Égypte (1911). Elles ont donné le qualificatif SNC (les initiales de ces villes) désignant la quinzaine de météorites de ce type ramassées sur Terre.
De multiples raisons conduisent à leur attribuer une origine martienne, à la suite d’impacts d’astéroïdes ou de comètes. Il y a d’abord le fait qu’elles possèdent toutes une composition particulière d’isotopes stables de l’oxygène (17O et 18O) qui les distinguent des autres météorites. Les bulles de gaz incluses ont une composition identique à celle de l’atmosphère martienne mesurée par les sondes Viking en 1976. Surtout, les SNC sont en général des roches qui ont cristallisé à partir de magmas il y a environ 500 millions d’années, voire moins. Les astéroïdes de grandes tailles avaient déjà épuisé leurs réserves d’éléments radioactifs et de chaleur d’accrétion. En dehors de la Terre, seules Vénus et Mars pouvaient donc encore être volcaniquement actives à cette époque, et la gravité de Mars est suffisamment faible pour permettre des éjections de blocs rocheux à la suite d’un impact de petits corps célestes.
Ainsi, tout récemment une équipe de cosmochimistes étudiant la formation des étoiles et des planètes à l’Université de Copenhague — en collaboration avec des collègues de l’Institut de Physique du Globe de Paris, de l’ETH à Zürich et de l’Université de Berne en Suisse — a annoncé avoir faire une découverte intéressante en analysant des échantillons de 31 météorites martiennes. On peut prendre connaissance de tous les détails de leurs travaux dans l’article publié dans Science Advances au sujet de cette découverte.
Il y a sept ans, on disposait déjà de multiples indications de l’existence d’un océan passé dans l’hémisphère nord de Mars. Cette vidéo explique l’une de ces indications. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © NASA Goddard
Les isotopes du chrome, des traceurs en cosmochimie
En mesurant des abondances des isotopes du chrome présent dans les météorites, ils ont obtenu des indications suggérant que la majeure partie de l’eau, qui constituait un ancien océan global sur Mars pendant le Noachien, provenait de météorites de type chondrites riches en carbone émanant du Système solaire externe. En effet, les mesures laissent penser qu’un apport d’eau sous la forme d’un bombardement d’astéroïdes formés de la même matière que ces chondrites a été suffisant pour permettre de recouvrir la surface de Mars théoriquement d’un océan d’environ 300 m de profondeur, ce qui est compatible avec des estimations précédentes se basant sur l’étude de la topographie de Mars montrant des structures que l’on interprète comme des traces de rivages disparus, principalement dans l’hémisphère nord.
Jusqu’à présent, la quantité d’eau présente sur Mars au Noachien, déduite des caractéristiques des anciens rivages de son océan boréal, était restée incertaine et, tout comme dans le cas de la Terre, il y a un débat quant à savoir si l’eau en surface était surtout le produit d’un dégazage interne des jeunes planètes ou un apport dû à un bombardement d’astéroïdes riches en eau (ou de comètes). Dans tous les cas, la cosmochimie permet d’avoir des informations supplémentaires.
Une présentation de ce que font les géochimistes et les cosmochimistes de l’Institut de physique du Globe de Paris. © Chaîne IPGP, YouTube
D’ailleurs, tout récemment, il a été annoncé que la météorite Winchcombe, qui s’est écrasée sur l’allée du jardin d’une famille en Angleterre au début de 2021, avait la même signature isotopique de l’hydrogène que celle des océans sur Terre. Ce qui a fait dire à Luke Daly, de l’Université de Glasgow au Royaume-Uni, qui a dirigé l’étude sur Winchcombe, que « les deux études arrivent à des conclusions très similaires selon lesquelles l’eau et les matières organiques – les éléments constitutifs de la vie – ont été livrés à la Terre et à Mars par des astéroïdes chondritiques carbonés au début de l’histoire de ces planètes ».
Cette déclaration complète donc celle de Martin Bizzarro, le chercheur qui a mené l’équipe de l’Université de Copenhague : « Notre étude est la première qui démontre qu’il doit y avoir eu une grande quantité d’astéroïdes carbonés riches en eau qui ont bombardé la planète au début de son évolution. Cela établit fermement que les molécules organiques pertinentes pour la vie doivent avoir été présentes dans l’évolution précoce de la planète avec l’eau ».
La logique permettant d’arriver à ces résultats est la suivante :
Les météorites martiennes étudiées sont des laves arrivées en surface issues de la fusion partielle du manteau de Mars. Elles ont été chimiquement contaminées par leur passage à travers la croûte de Mars qui n’a pas dû changer significativement depuis des milliards d’années puisqu’il n’y a pas de tectonique des plaques sur Mars au contraire de la Terre qui renouvelle sans cesse sa croûte océanique.
On a des raisons de ne pas s’attendre à la présence d’isotopes du chrome 54 du fait de la formation de Mars dans sa croûte. Des anomalies avec cet isotope ne peuvent donc signaler qu’un apport après la formation de Mars dans sa croûte du fait d’impacts d’astéroïdes pendant le Noachien. De plus, les isotopes du chrome sont de bons marqueurs des météorites de type chondrite carbonée.
On comprend donc pourquoi des mesures des abondances des isotopes du chrome vont trahir aussi bien un bombardement en astéroïdes de la même nature que ces météorites et aussi l’ampleur de ce bombardement et l’apport de matière qui en a résulté. Connaissant la quantité d’eau moyenne présente dans les chondrites carbonées, on en déduit donc aussi une estimation de la quantité d’eau apportée.
Le saviez-vous ?
Les planétologues ont défini approximativement trois grandes périodes de l’histoire martienne nommées d’après des endroits sur Mars qui appartiennent à ces épisodes. On distingue donc en général et dans l’ordre chronologique depuis la naissance de Mars :
- Le Noachien (du nom de Noachis Terra) correspondant aux terrains remontant à plus de 3,7-3,5 milliards d’années, fortement cratérisés et situés majoritairement dans l’hémisphère sud. Mars ne devait pas encore avoir perdu son atmosphère et elle devait posséder de vastes étendues d’eau liquide.
- L’Hespérien (du nom d’Hesperia Planum), une période relativement brève de quelques centaines de millions d’années, marquée par une forte activité volcanique de la planète et la disparition de son bouclier magnétique, entraînant donc le début de l’érosion de son atmosphère par le vent solaire et le début de la fin de l’existence de l’eau liquide à la surface de Mars.
- L’Amazonien (du nom d’Amazonis Planitia) qui, lui, correspond aux terrains de moins de 3,2 milliards d’années très peu cratérisés et situés très majoritairement dans l’hémisphère nord. Mars est devenue très aride et peu active, avec toutefois quelques épisodes volcaniques mais moins intenses que ceux de l’Hespérien.