Les Bourses sont en émoi, les chancelleries sur le qui-vive, les états-majors militaires plus que jamais sur le pont. Mais la tech mondiale est aussi en alerte depuis que Nancy Pelosi , la cheffe des parlementaires américains et le troisième personnage de l’Etat fédéral, est arrivée à Taïwan mardi – la plus haute visite d’un responsable américain en 25 ans. Le séjour de la Speaker de 82 ans sur l’île démocratique et de facto autonome – mais revendiquée par Pékin – a aussitôt exacerbé les tensions entre la Chine et les Etats-Unis sur la tech, pourtant déjà très vives depuis le mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche.
L’agenda de la démocrate, il est vrai, laissait peu de doute. Après ses entretiens politiques avec la présidente, Tsai Ing-wen, et des activistes des droits de l’homme, Nancy Pelosi a profité de son séjour ultra-médiatisé pour afficher son soutien à la tech taïwanaise. Mercredi, la patronne des parlementaires américains a rencontré Mark Liu, le président de TSMC, le plus gros « fondeur » de la planète.
Un choix loin d’être anodin, vue l’importance stratégique de cet acteur pour l’économie mondiale. Dans ses usines de Hsinchu, près de la capitale Taipei, le géant taïwanais fabrique presque 50 % des semi-conducteurs du globe, pour des clients aussi bien américains (Qualcomm, Apple) que chinois (Huawei) ou européens.
Un géant très convoité
Depuis des années, l’avance technologique de TSMC sur ces composants archi-critiques pour une myriade de secteurs de l’économie fait que le groupe est convoité tant par les Etats-Unis que par la Chine. Dans ce match, Washington a cependant déjà marqué un point : mi-2020, TSMC a accepté de construire une usine à 12 milliards de dollars dans l’Arizona, sa deuxième dans le pays.
Une victoire pour les Etats-Unis, qui veulent rebooster leurs capacités industrielles dans les semi-conducteurs, notamment via un plan de 52 milliards de dollars tout juste voté par le Congrès. Selon la SIA (Semi-conductors Industry Association) américaine, le lobby du secteur, la part des Etats-Unis dans la production mondiale de puces est passée, il est vrai, de 37 % à 12 % en trente ans, largement au profit de l’Asie et de Taïwan, devenu le hub mondial pour cette industrie.
Mais TSMC peut difficilement tourner le dos à la Chine, qui elle aussi monte en puissance dans la production de puces . Le groupe y réalise 10 % de son chiffre d’affaires et compte deux usines dans le pays. Dimanche, alors que les tensions montaient, Mark Liu a été clair. « Personne ne peut contrôler TSMC par la force », a expliqué le patron dans une rare interview à CNN. Si jamais la Chine venait à envahir Taïwan, les usines de TSMC seraient inopérables tant elles sont intégrées dans une chaîne logistique mondiale. Et par ricochet, « cela créerait d’énormes turbulences économiques en Chine, car leurs approvisionnements en composants les plus sophistiqués viendraient à disparaître. »
Sanctions
Malgré sa colère contre la visite de Pelosi, la Chine peut en effet difficilement sanctionner TSMC, tant la deuxième économie mondiale est dépendante de Taïwan et du reste du monde pour ses semi-conducteurs, ses importations en puces dépassant chaque année en valeur ses achats de pétrole. Pékin a certes pris des sanctions, mais sur des secteurs moins stratégiques : une centaine d’entreprises taïwanaises de l’agroalimentaire ont été placées sur une liste de noire cette semaine, et la Chine a parallèlement interrompu ses exportations de sable (pour la production du verre et du ciment) vers Taïwan.
En revanche, le chinois CATL, le plus gros fabricant mondial de batteries pour les voitures électriques, aurait déjà mis sur pause son projet d’usine à 5 milliards de dollars en Amérique du Nord, selon Bloomberg. Or cette usine aurait permis de fournir Tesla et Ford. Vu les tensions actuelles, CATL devrait finaliser le choix du site (potentiellement au Mexique ou aux Etats-Unis) à l’automne, alors qu’une annonce était pourtant prévue dans les prochaines semaines.
Les Etats-Unis, eux, continuent d’empêcher la montée de la Chine sur les semi-conducteurs. Ainsi, les entreprises bénéficiant de subventions publiques dans le cadre du Chips Act auront l’interdiction formelle de développer la production de puces avancées en Chine pendant dix ans. La décision devrait toucher Intel et son usine chinoise de Chengdu, ainsi que TSMC. Mais cette interdiction force aussi les géants coréens comme Samsung et SK Hynix à repenser leur stratégie chinoise, selon le « Financial Times ». Avec les tensions autour de Taïwan mais aussi la stricte politique de « zéro Covid » en Chine , les Sud-Coréens pivotent de plus en plus vers les Etats-Unis, à l’image de Samsung qui a annoncé l’année dernière une usine de 17 milliards de dollars au Texas.