Sur le quai du port, Philippe Grau a bien du mal à s’en remettre. Dans la cité balnéaire du Grau-du-Roi (Gard), le président de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) vit un été difficile. Il débute son récit, la voix pleine d’émotion : « Un appel à 6 heures du matin pour une assistance remorquage. » Des jeunes se sont échoués avec leur bateau sur la plage de l’Espiguette, et ne sont pas en mesure d’en repartir. Un cas de figure assez fréquent par ici. Comme d’habitude, sans perdre une minute, il prévient ses « collègues », qui accourent au poste de contrôle. « Arrivés sur place, nous avons été confrontés à des individus qui avaient sans doute trop bu, qui nous ont mal parlé et qui nous ont tout de suite prévenus qu’ils ne paieraient pas la facture. Pas un merci, pas un mot de reconnaissance. » S’ensuivent des menaces et un dépôt de plainte contre le secouriste… Philippe Grau l’a mauvaise : « Notre ADN, c’est d’aller sauver des vies, pas de dépanner des gens qui ne connaissent pas la mer, ou qui sont malhonnêtes et agressifs avec nous. On n’est pas formatés pour ça. »
Ce genre d’interventions, de plus en plus fréquentes selon les sauveteurs, porte un coup à la motivation de l’équipe. « On donne de notre temps, on aime ce que l’on fait. Mais les gens ne se rendent pas compte qu’on lâche tout ce qu’on est en train de faire pour aller les aider », rapporte Claude Caliendo, un retraité engagé depuis 2019. Même l’habituel « salut de la main quand on se croise en mer » n’a plus rien d’évident, regrette Philippe Grau, vingt ans d’expérience dans l’association. « Beaucoup pensent que nous sommes un service de l’Etat, mais non, nous sommes tous bénévoles. »
Ils sont 8 800 dans toute la France à faire fonctionner cette association d’utilité publique. Dans l’unique station SNSM du littoral gardois, une trentaine de personnes se mobilisent toute l’année. Les volontaires s’entraînent au moins deux dimanches par mois, même en hiver, apprennent les techniques d’hélitreuillage et la théorie, et se rendent disponibles de jour comme de nuit. Exactement comme les sapeurs-pompiers volontaires. La seule contrainte imposée par le président : habiter la commune. Claude, qui vit sur un bateau, est toujours le premier arrivé. « Sur mon téléphone portable, j’ai mis une sonnerie spéciale SNSM. Dès que je l’entends, même si je dors, mon cerveau se met en mode intervention. Je fonce, mais parfois, on préférerait que ça ne sonne pas. »
« On marche à la passion »
Le blues des sauveteurs en mer du Grau-du-Roi est de plus en plus palpable. Le tragique accident de 2019, où trois secouristes sont morts au large des Sables-d’Olonne (Vendée) au cours d’une opération de sauvetage, revient souvent dans les conversations. « Un peu comme une piqûre de rappel », dit Philippe Grau, qui retrouve son entrain dès qu’il évoque son autre mission : transmettre le flambeau aux nouvelles générations. Susciter des vocations et maintenir le bénévolat reste l’une des ambitions premières des stations SNSM. « Ici, on arrive encore à recruter des jeunes », observe le responsable, qui mise beaucoup sur l’esprit d’équipe.
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