Après la librairie, le manga est-il parti à la conquête du grand écran ? Jusqu’à il y a quelques années, les films tirés des comics japonais restaient des produits assez confidentiels en France mais depuis la réouverture des salles en mai 2021 deux opus (« Demon Slayer » et « Jujutsu Kaisen 0 ») ont déjà réussi l’exploit assez inédit de dépasser la barre du demi-million d’entrées.
Avec la sortie ce mercredi du long métrage « One Piece Red », adaptation de la saga dessinée la plus vendue de la planète et qui a soufflé fin juillet ses vingt-cinq bougies, tous les espoirs semblent permis pour que la percée du manga au cinéma se poursuive. Alors que les cinémas peinent à renouer avec les niveaux de fréquentation d’avant-Covid, la généralisation en salle d’un genre tellement populaire en librairie et auprès des jeunes a forcément de quoi aider à redynamiser le septième art.
Engouement au Japon
Le quinzième long métrage sur les aventures de Monkey D. Luffy, le pirate au chapeau de paille, a déjà suscité l’engouement au Japon. Pour sa sortie le week-end dernier, il a attiré 1,6 million de spectateurs et généré 2,26 milliards de yens de recettes au box-office, selon la presse spécialisée, se hissant parmi les trois meilleurs démarrages de tous les temps sur l’archipel. En France, le film a déjà 179.000 entrées au compteur grâce aux avant-premières ce week-end.
C’est encore loin d’un blockbuster américain, mais digne d’une bonne comédie française et surtout déjà plus que la totalité du public du précédent film tiré de la saga « One Piece » qui avait rassemblé 70.000 spectateurs en France en 2019, analyse Eric Marti, directeur de Comscore en France.
« Signe de dynamisme »
« C’est un signe de dynamisme énorme. Si la greffe se confirme on a un potentiel de public important vu la popularité du manga en France », poursuit Eric Marti. « Ce sont des films qui d’habitude faisaient 90 % des entrées sur la première semaine, mais ils commencent à avoir des jambes. Le public prend l’habitude d’aller profiter de ces spectacles dans les salles de cinéma et il ne s’agit pas que des fans qui achètent les mangas en librairie ou jouent aux jeux vidéo », dit-il.
Typiquement, les mangas sont un genre où, comme pour les super-héros américains, les grandes franchises connaissent une grande longévité et se déclinent souvent très tôt sur plusieurs supports : série de télévision, jeux vidéo, produits dérivés. Par exemple, dès la fin des années 1990 existe une série animée sur « One Piece » qui en est à plus de 1.000 épisodes. Autour de ces séries, les longs métrages s’exportent de plus en plus hors Japon.
« Passe Culture »
Depuis quelques années, l’accélération de l’intérêt du public français pour les mangas ne se dément pas. 2021 a été une année record pour les ventes en librairie. Mais si la France est le deuxième marché mondial grâce aussi au « passe Culture », la popularité du genre grandit un peu partout en Europe comme aux Etats-Unis.
Sur les plateformes de vidéo à la demande, et notamment Netflix, la généralisation de l’offre animée nippone et tout particulièrement des adaptations de mangas a contribué à créer une sensibilité chez le public.
Un expert de l’audiovisuel
Un phénomène amplifié ces dernières années par des services de streaming qui ont eux aussi mis le manga à l’honneur. « Sur les plateformes de vidéo à la demande, et notamment Netflix, la généralisation de l’offre animée nippone et tout particulièrement des adaptations de mangas a contribué à créer une sensibilité chez le public », estime un expert de l’audiovisuel.
Maillons de monétisation
A côté de Netflix et des chaînes thématiques historiques comme Game One, les plateformes spécialisées comme Crunchyroll (Sony) et ADN (Média-Participations) surfent aussi sur la vague du manga. « Dans la chaîne de monétisation du manga, ces maillons audiovisuels et de jeux vidéo nourrissent et se nourrissent du succès du manga papier », poursuit l’expert du secteur.
Désormais, le manga est entré aussi dans les habitudes des circuits de distribution au cinéma. Les adaptations de mangas au cinéma étaient au départ surtout prisées des fans, ce qui rendait les programmateurs frileux, mais depuis notamment « Demon Slayer » (730.000 entrées selon Comscore) ce type de films « volent de leurs propres ailes, et ça a rassuré le marché », estime un professionnel de l’animation japonaise.Mais jusqu’où pourra monter l’audience de « One Piece Red » ? Pourra-t-il flirter avec les niveaux du « Voyage de Chihiro » (plus d’un million d’entrées en 2001), le plus gros succès pour un film animé nippon (qui n’était pas tiré d’un manga) ? Les semaines à venir donneront un bon bout de la réponse.