Comment avoir 200 ans dans l’édition papier et prospérer tout en restant gratuit sur la Toile ? Le journal britannique « The Guardian », qui s’est tenu il y a six ans à son choix contre-tendance de laisser ses contenus en libre accès, réussit à faire prospérer un modèle qui détonne dans le paysage de la presse.
Dons sur base volontaire
Dans ses résultats pour l’année 2021-2022, le Guardian Media Group, éditeur du quotidien et du dominical « The Observer », affiche des revenus en progression de 13 % à 256 millions de livres (303 millions d’euros), soit son plus haut niveau depuis la crise financière de 2008, et, une fois n’est pas coutume, consolide le pécule de la fondation à sa tête qui l’aide à passer les tempêtes.
Alors que, dans le sillage du « New York Times » , quasiment tous les grands titres de la presse européenne et américaine se sont convertis ces dernières années à la logique du « paywall » pour monétiser leurs articles et autres contenus grâce à des abonnements payants, « The Guardian » – propriété d’une fondation – en 2016 a mis sur pied un modèle qui, plutôt que demander aux lecteurs de s’abonner, les encourage à soutenir le journal avec des dons sur base volontaire. Cette année, les dons des lecteurs numériques pour la première fois rapportent plus que les recettes du papier.
Nuages à l’horizon
Même si de gros nuages s’amoncellent à l’horizon – inflation du prix papier faisant grimper le coût d’impression, incertitudes sur les perspectives du marché de la publicité numérique , crise économique amputant le pouvoir d’achat des ménages – « The Guardian » compte bien continuer à aller de l’avant.
L’indépendance du journal est garantie par sa structure capitalistique. Son propriétaire, le Scott Trust, est assis sur près de 1,3 milliard de livres qu’il investit sur les marchés, un trésor de guerre qui a permis de tenir à flot le quotidien quand les pertes devenaient vertigineuses au milieu des années 2010.
Pour la première fois depuis longtemps, le groupe média britannique a fait remonter des flux de trésorerie (7 millions de livres) à la fondation qui le détient, alors que normalement il bénéficiait tous les ans d’une injection de l’ordre de 30 millions. Car le groupe a presque quadruplé son résultat opérationnel à 12 millions.
Mais il y a des bémols. Le trafic Web du « Guardian » au Royaume-Uni a fléchi assez brutalement cette année : 19 millions de visiteurs uniques mensuels en juin contre 26 millions en décembre dernier, selon Enders Analysis. Par ailleurs, même si le journal bénéficie d’une forte progression des recettes surtout à l’ international (Etats-Unis, Australie et dans une moindre mesure en Europe continentale), la croissance des lecteurs « donateurs » s’est tassée en 2022 après avoir atteint le seuil du million fin 2021.
Chemin de croissance
Malgré ces quelques ombres au tableau, ses derniers résultats financiers valident la stratégie du « Guardian ». Avec le « New York Times », le « Financial Times » et le « Wall Street Journal », il est dans cette poignée de grands journaux anglo-saxons faisant de la résistance en ligne face à de nouveaux médias purement numériques comme Politico ou Axios.
« Pendant de nombreuses années, l’industrie de la presse a vécu dans la peur du déclin. Le redressement d’un titre historique comme ‘The Guardian’ peut instiller la confiance dans l’ensemble du secteur, estime Douglas McCabe, analyste au cabinet londonien Enders. Cela a une importance financière mais aussi et peut-être surtout une portée d’ordre psychologique tant pour les managements que pour les rédactions qui voient ce nouveau chemin de croissance et de rentabilité. »