L’événement était « difficilement prévisible » par les modèles de prévision numérique de Météo-France, s’est défendu le service météorologie, jeudi 18 août, pour ne pas avoir activé plus tôt la vigilance orange en Corse après les violents orages qui y ont fait plusieurs morts. L’organisme s’est dit par ailleurs « surpris » par une situation « exceptionnelle ». Ce loupé des prévisionnistes illustre la difficulté, malgré les progrès spectaculaires des supercalculateurs, de traduire les probabilités de phénomènes météo en un système d’alerte crédible pour la population.
Au petit matin, des rafales à plus de 150 km/h ont touché la Corse, et au moins cinq personnes ont trouvé la mort sur l’île, dont deux tuées par des chutes d’arbres sur leurs bungalows. Une vingtaine de personnes ont, par ailleurs, été blessées, sur terre ou en mer, dont quatre très grièvement.
Dans son bulletin de 6 heures, l’île était encore en vigilance jaune, « soyez attentif », Météo-France annonçant « de puissants orages (…) en mer à proximité de la Corse, avec de fortes rafales de vent », qui pourront « très temporairement affecter les côtes ouest et nord ». Ce n’est qu’à 8 h 35, en observant le décalage de l’orage dans les terres et l’intensité « extrême » des rafales, que les deux départements ont basculé en vigilance orange, signifiant « soyez vigilant ». A ce niveau, un cran inférieur au rouge de la « vigilance absolue », les habitants sont invités à s’abriter dans des bâtiments en dur, tandis que les services de la sécurité civile et les autorités sanitaires sont mis en alerte.
« On a été un peu surpris par les valeurs des rafales, valeurs tout à fait exceptionnelles qui n’avaient jamais été observées auparavant », avec plus de 200 km/h de vent par endroits, a reconnu Christophe Morel, responsable de la permanence prévision, lors d’un point presse.
Des prévisions discordantes
Certaines simulations produites par « AROME », le modèle maison de Météo-France qui tourne sur un supercalculateur à Toulouse, « laissaient suggérer un orage proche de celui qui a été observé », tandis que d’autres simulations « qui paraissaient plus vraisemblables le situaient plus en mer », a expliqué le prévisionniste François Gourand. « Des systèmes orageux multicellulaires se produisent quand une certaine mayonnaise prend : arriver à prévoir la combinaison de ces éléments, c’est très compliqué », affirme M. Gourand. « Des modèles très sophistiqués comme AROME arrivent à les prévoir de mieux en mieux, mais pas toujours », a-t-il ajouté, affirmant que les météorologues sont « très souvent dans ces situations où les modèles ne permettent pas de trancher ».
S’il fallait alerter dès qu’un scénario extrême apparaît dans la prévision numérique, « on ferait bien trop de vigilance et le système deviendrait inutile », a déclaré Christophe Morel. « Il y a un équilibre à trouver, alerter suffisamment et ne pas suralerter », a-t-il souligné, estimant que « là, nous n’avions pas assez d’éléments » en avance.
« Nous devons entendre les critiques », a admis Philippe Arbogast, chercheur à Météo-France, tout en réaffirmant que « nous ne devons pas alerter dès qu’une situation extrême apparaît dans les simulations ».
Dans le cas de la Corse, « une ligne de grain a commencé à se courber sur elle-même », a décrit François Gourand. « C’est une structure favorable à de très fortes rafales de vents descendantes », un type de rafales « extrêmement rare ».
Finalement, l’alerte orange a été levée à 11 h 16, la Haute-Corse et la Corse-du-Sud redescendant en vigilance jaune. Avant d’être relevée à partir de 21 heures au niveau orange, jusqu’à vendredi matin.
« Moins de 20 % de probabilité »
En 2021, 14 % des alertes se sont révélées de fausses alarmes tandis que le taux de non-détection s’élevait à 1,7 %. Autrement dit, « sept départements ont connu un phénomène pour lequel une vigilance orange aurait été opportune alors qu’elle n’a pas été déclenchée », selon le bilan de Météo-France, qui a mis en place ce système en 2001. « En toute objectivité, on peut parler d’un loupé sur une situation extrême », reconnaît Pascal Scaviner, responsable du service prévisions à La Chaîne Météo, concurrent privé de Météo-France, qui n’a pas non plus émis d’alerte renforcée. Comme souvent pour les orages, « il y avait des disparités très importantes » entre les modèles numériques et « il n’y avait pas de certitude », explique-t-il à l’Agence France-Presse.
« Quelques facteurs » − la Méditerranée très chaude, des températures en altitude inférieures de 8 °C aux normales, un air chaud en surface… − « laissaient penser qu’on pouvait avoir des phénomènes sévères, mais c’étaient des scénarios minoritaires, de l’ordre de moins de 20 % de probabilité », explique le prévisionniste. « Cela dit, il y a peut-être un souci de communication des différents scénarios », s’interroge-t-il. « Aux États-Unis, c’est rentré dans les mœurs de parler en termes de probabilités », rappelle-t-il. « Si on vous dit qu’il y a 20 % de probabilité qu’un phénomène avec des conséquences sévères se produise, c’est quand même que ce n’est pas nul. »
« Dans certains secteurs d’activité, par exemple le golf, même un scénario à 5 % est pris en compte », raconte-t-il. Et « si je vous annonce un risque de grêle, même faible, vous allez peut-être rentrer votre voiture ». « Peut-être que trois niveaux d’alertes, ça n’interpelle pas assez les gens », se demande encore le prévisionniste, qui plaide pour une communication « plus en avance sur les différents scénarios ». « On n’a pas évolué depuis vingt ans », regrette-t-il.