La guerre acharnée que mène l’OMS contre les poliovirus a conduit à un paradoxe. Le vaccin oral est massivement utilisé dans les pays en développement pour ses trois atouts majeurs : son faible coût, son mode d’administration facile (par gouttes) et sa forte capacité à réduire la transmission interhumaine de cet agent pathogène. Le revers de la médaille, c’est que la personne vaccinée excrète un virus encore vivant, qui peut circuler plusieurs mois d’une personne non vaccinée à une autre : il risque de redevenir virulent. Plusieurs centaines de cas de paralysie par an, toute liée à de telles « souches du poliovirus dérivées du vaccin », se déclarent chaque année, principalement en Afrique subsaharienne.
Comment enrayer le phénomène, découvert au début des années 2000 lors d’une épidémie à Saint-Domingue ? L’espoir vient d’un nouveau vaccin, conçu et développé depuis une dizaine d’années par des universités américaines et européennes, l’OMS et le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, grâce à un financement de la Fondation Bill et Melinda Gates.
« Un cercle vicieux »
Plus de 90 % des cas dus à des souches dérivées du vaccin sont causés par un des trois types de poliovirus, le type 2. Par ailleurs, le type 2 qui circule naturellement a été éradiqué grâce au programme de l’OMS : il a donc été décidé de l’éliminer du vaccin oral. Mais, en 2017 et en 2018, dans certains pays d’Afrique, plusieurs cas de poliomyélite ont été attribués à des souches de type 2. Le programme d’éradication s’est trouvé « pris dans un cercle vicieux », reconnaît Maël Bessaud, expert des poliovirus à l’Institut Pasteur : pour éteindre ces nouvelles épidémies liées à des souches de type 2 dérivées du vaccin… il a fallu recourir à une vaccination avec la souche de type 2 !
Un nouveau vaccin a donc été développé. « Il utilise une souche du virus de type 2 dont le génome comporte des mutations supplémentaires, dans le but de stabiliser son caractère moins virulent », explique Maël Bessaud. Après avoir été évalué in vitro et chez un petit groupe de volontaires, ce vaccin a obtenu de l’OMS, en octobre 2021, une autorisation d’utilisation générale. Pour l’heure, une seule compagnie le fabrique, Biofarma, en Indonésie.
« Au 28 juin, 370 millions de doses de ce nouveau vaccin avaient été administrées dans vingt et un pays : Nigéria, Libéria, Sierra Leone, Tadjikistan… », indique Maël Bessaud. Les premières données de surveillance montrent qu’il n’a pas acquis de mutations laissant craindre une dérive vers un caractère plus virulent.