Une alimentation riche en protéines animales favorise l’implantation de bactéries intestinales productrices de sulfure d’hydrogène, un gaz très toxique qui augmente le risque de cancer colorectal.
Il est depuis longtemps établi que les consommateurs réguliers de viandes rouges et de charcuteries sont plus à risque de développer un cancer colorectal que les personnes dont l’alimentation est surtout constituée d’aliments d’origine végétale.
Cette hausse a été attribuée à une combinaison de plusieurs facteurs, incluant la présence de nitrites/nitrates, le stress oxydatif causé par le fer héminique de la viande rouge ou encore la production de molécules cancérigènes lors de la cuisson.
Les études montrent que les grands carnivores sont également à plus haut risque de surpoids et de diabète de type 2, deux importants facteurs de risque de cancer colorectal.
Une odeur de soufre
Une autre conséquence d’un apport élevé en viandes est de modifier considérablement la composition du microbiome intestinal.
Premièrement, les régimes riches en viandes sont généralement carencés en fibres alimentaires, ce qui a un impact négatif sur la diversité de ce microbiome en réduisant la colonisation de l’intestin par des espèces de bactéries « amies » qui utilisent ces fibres pour produire des métabolites anti-inflammatoires.
Deuxièmement, les sources de protéines animales sont globalement plus riches en acides aminés possédant un atome de soufre (méthionine, cystéine), ce qui favorise l’implantation de bactéries qui réduisent ces atomes de soufre en sulfure d’hydrogène (H2S).(1)
En plus d’être nauséabond (odeur d’œufs pourris), ce gaz est également extrêmement toxique pour les cellules qui tapissent l’intérieur du côlon en raison de sa capacité à attaquer directement l’ADN de ces cellules et à créer des conditions inflammatoires propices au développement du cancer.
Le H2S pourrait donc représenter un autre facteur contribuant à la hausse du risque de cancer colorectal observée chez les grands mangeurs de viande.
Hausse du risque de cancer
Pour explorer davantage cette possibilité, des chercheurs de l’Université Harvard ont examiné l’association existant entre une alimentation favorisant la production bactérienne de sulfure et l’incidence de cancer colorectal auprès de 215 000 hommes et femmes qui participent à trois grandes cohortes, soit la Health Professionals Follow-up Study (1986-2014), la Nurses’ Health Study (1984-2016), et la Nurses’Health Study II (1991-2017).
En récoltant des échantillons de selles auprès d’un sous-groupe représentatif de ces cohortes, ils ont d’abord déterminé le type d’alimentation qui était le plus étroitement associé à la présence de bactéries productrices de sulfure : d’un côté, une consommation élevée de viandes rouges, de charcuteries, de frites et de boissons gazeuses ; de l’autre, un apport faible en fruits, grains entiers, légumineuses, légumes verts et crucifères.(2)
Ils ont par la suite montré qu’une plus grande adhérence à cette alimentation prosulfure était associée à une augmentation d’environ 30 % du risque de cancer colorectal, en particulier les formes distales de la maladie (côlon sigmoïde et rectum).
Ces résultats sont en accord avec une autre étude récente montrant qu’un apport élevé en viandes rouges et en boissons gazeuses était associé à une plus forte présence de bactéries productrices de sulfure et à une hausse du risque de cancer colon distal.(3)
Il est important de mentionner que cette hausse du risque de cancer n’est pas observée pour d’autres aliments riches en soufre, les légumes crucifères en particulier. Dans ces légumes, le soufre est sous forme de glucosinolates, des molécules qui sont transformées en isothiocyanates par la digestion.
Loin d’être nocifs, les isothiocyanates possèdent au contraire une des plus fortes activités anticancéreuses du règne végétal et ont été à maintes reprises associés à une réduction du risque de plusieurs cancers, incluant le cancer colorectal.
Ce n’est donc pas le soufre en tant que tel, mais bien la source de ce soufre dans les protéines de la viande rouge qui influence l’établissement des bactéries productrices de H2S.
♦ (1) Magee EA et coll. Contribution of dietary protein to sulfide production in the large intestine: an in vitro and a controlled feeding study in humans. Am. J. Clin. Nutr. 2000; 72:1488-94.
♦ (2) Wang Y et coll. Association between the sulfur microbial diet and risk of colorectal cancer. JAMA Netw Open 2021; 4: e2134308.
♦ (3) Nguyen LH et coll. Association between sulfur-metabolizing bacterial communities in stool and risk of distal colorectal cancer in men. Gastroenterology 2020; 158: 1313-1325.