On le sait, l’infection par le SARS-CoV-2 est associée à un risque accru de nombreuses séquelles neurologiques et psychiatriques. Toutefois, plus de deux ans après le début de la pandémie de la Covid-19, on ignore toujours combien de temps ces risques persistent. Une précédente étude publiée dans The Lancet Psychiatry rapportait que 18,5 % des malades de la Covid-19 avaient développé des maladies mentales après trois mois. Les séquelles persisteraient même après six mois, sans savoir ce qu’il en advient après.
Autres lacunes mentionnées dans la nouvelle étude parue également dans The Lancet Psychiatry : le manque d’inclusion des enfants et des différents variants du virus.
Pour étudier ces trois questions, les chercheurs du département de psychiatrie de l’université d’Oxford ont utilisé les dossiers médicaux électroniques mis à disposition par la plateforme TriXNet (spécialisée dans la gestion de données de santé à destination de la recherche). Ils ont évalué les risques jusqu’à deux ans de 14 séquelles neurologiques et psychiatriques après une infection par le SARS-CoV-2, et ce dans trois groupes d’âge : enfants de moins de 18 ans, adultes âgés de 18 à 64 ans et adultes de plus de 65 ans. Ils ont ensuite comparé les cohortes d’étude diagnostiquées avec la maladie avant et après l’émergence des variants Alpha, Delta et Omicron.
Une étude sur plus d’un million de guéris de la Covid-19
La cohorte étudiée de 1.284.437 patients (âge moyen 42,5 ans ; 57,8 % de femmes) a été comparée à une cohorte du même nombre de patients, atteints cette fois d’une autre infection respiratoire. Les chercheurs ont ainsi représenté les trajectoires de risque sur deux ans à l’aide de rapports de risque variant dans le temps. Les facteurs démographiques, les facteurs de risque de la Covid-19 et le statut vaccinal ont été inclus dans l’analyse.
Selon les groupes d’âges, les risques de développer des troubles neurologiques et psychiatriques post-Covid-19 différaient. Les enfants ne présentaient pas un risque accru de troubles de l’humeur ou de l’anxiété dans les six mois suivant l’infection, et le risque de déficit cognitif (appelé brouillard cérébral) était transitoire. Toutefois, ils partageaient le risque des adultes pour quelques diagnostics comme l’insomnie, l’accident vasculaire cérébral ischémique ou encore l’épilepsie.
Les risques de troubles de l’humeur et de l’anxiété sont transitoires
Les auteurs notent que chez les adultes, le risque de déficit cognitif, de démence, de trouble psychotique et d’épilepsie est resté élevé pendant toute la durée de l’étude (à l’exception de l’encéphalite, du syndrome de Guillain-Barré, des troubles des nerfs, des racines nerveuses et du plexus, et du parkinsonisme). En revanche, les risques de troubles psychiatriques courants (tels que les troubles de l’humeur et de l’anxiété) sont revenus à la normale après un à deux mois, pour finalement atteindre une incidence globale égale à celle du groupe témoin.
Par ailleurs, les résultats neurologiques et psychiatriques sont restés similaires quels que soient les variants du SARS-CoV-2 en cause. En conséquence, les chercheurs indiquent que la charge sur le système de soins de santé pourrait se poursuivre, même avec des variants moins graves à d’autres égards.
La Covid-19 fragilise durablement la santé mentale des malades
Article publié le 1er février 2021 par Julie Kern
Ceux qui ont vécu la Covid-19 souffrent encore de séquelles physiques handicapantes. La plupart d’entre eux sont résilients et s’en sortent après des longues semaines de convalescence. Pour d’autres, cette expérience stressante peut être le facteur déclenchant de troubles psychiatriques comme l’anxiété ou l’insomnie. Les scientifiques commencent tout juste à estimer l’ampleur de ce phénomène.
Commerces et lieux culturels fermés, population masquée et confinée, rassemblements proscrits. Jamais de telles mesures sanitaires n’ont été prises en France pour limiter la propagation d’une maladie virale mortelle. Leur instauration était une nécessité pour soulager les hôpitaux submergés mais elles n’ont pas fait disparaître le virus. Cet espoir, et celui de retrouver un semblant de vie normale, réside désormais dans les campagnes de vaccination qui se déroulent aux quatre coins du monde. Cette situation pandémique a marqué au fer rouge les esprits de la population générale, des soignants, des commerçants, des familles endeuillées, des étudiants isolés, et encore plus celui de ceux qui ont été au cœur de la tempête : les malades de la Covid-19.
Les psychiatres commencent à mesurer l’impact de la Covid-19 sur la santé mentale des survivants. Si certains se battent longtemps contre des séquelles physiques, l’expérience de la maladie les rend particulièrement sensibles aux troubles de l’humeur et de l’anxiété, et même à la démence pour les plus âgés. Une publication dans The Lancet Psychiatry du 9 novembre 2020 a été un premier signal d’alerte.
Après trois mois, 18,5 % des malades de la Covid-19 ont développé des maladies mentales
Les chercheurs du département de psychiatrie de l’université d’Oxford ont suivi la progression des diagnostics psychiatriques chez les personnes ayant eu la Covid-19 dans les 90 jours suivant leur rétablissement. Leur analyse se base sur des données électroniques mises à disposition par la plateforme TriXNet, spécialisée dans la gestion de données de santé à destination de la recherche. Sur les 69 millions d’entrées entre les mains des scientifiques, ils n’ont conservé que les 62.354 qui mentionnent un diagnostic positif pour la Covid-19.
Il apparaît que 18,5 % des survivants de la Covid-19 ont été diagnostiqués pour un trouble mental, quelle que soit sa nature, entre 14 et 90 jours après leur guérison. Pour 5 % d’entre eux, il s’agit du premier diagnostic psychiatrique de leur vie. Les troubles anxieux sont les plus fréquents dans l’effectif considéré (4,7 %), suivis des troubles de l’humeur (2 %) et enfin, des insomnies (1,9 %). Chez les plus de 65 ans, la démence représente 1,6 % des cas de désordres psychiatriques diagnostiqués contre 0,44 % dans l’effectif global.
Les scientifiques ont également retourné la question dans l’autre sens : est-ce que les maladies mentales sont un facteur aggravant de la Covid-19 ? L’analyse des données indique que ce soit bien le cas. Au même titre que l’hypertension, l’âge ou l’obésité, les maladies mentales constituent un facteur de risque. Selon les chercheurs de l’université d’Oxford, les personnes ayant eu un diagnostic psychiatrique de moins d’un an ont 65 % de risques en plus de contracter la Covid-19. Ce risque a été calculé indépendamment des autres facteurs de comorbidité des patients et est identique quelle que soit la nature de la maladie mentale diagnostiquée.
Six mois après la maladie, les séquelles sont toujours là
Dans une étude parue plus récemment en prépublication et non relue par les pairs, le même groupe de scientifiques a poursuivi ses recherches en étendant la durée de suivi à six mois. Ces résultats ont été obtenus à partir de 236.379 survivants de la Covid-19, hospitalisés ou non, issus de la base de données TriXNet. À six mois, les séquelles psychiatriques de la maladie sont toujours présentes et même plus fréquentes. L’incidence des diagnostics psychiatriques à six mois est de 33 % contre 18,5 % à trois mois, et celle des premiers diagnostics de 12,8 % contre 5 % à trois mois. Les troubles de l’anxiété explosent et concernent alors 24 % des diagnostics. La tendance est la même pour les troubles de l’humeur et les insomnies qui représentent respectivement 13 et 5 % des diagnostics. Des troubles plus inquiétants, qui rappellent la maladie de Parkinson et le syndrome de Guillain-Barré, ont également été identifiés.
Une question se pose alors, ces observations sont-elles caractéristiques de la Covid-19 ou sont-elles les mêmes pour d’autres maladies ? L’équipe d’Oxford s’est frottée à la question. Les chercheurs ont effectué les mêmes analyses chez des patients ayant eu la grippe, une infection respiratoire autre que la Covid-19 et la grippe, une infection cutanée, des calculs biliaires, des calculs rénaux et enfin, une fracture osseuse. Aucune de ces conditions n’est reliée à une incidence accrue de diagnostics psychiatriques chez les survivants, comme c’est le cas pour la Covid-19.
Les infections respiratoires (autres que la grippe et la Covid-19) sont les maladies testées qui fragilisent mentalement le plus les personnes. Dans cette cohorte, l’incidence de diagnostics psychiatriques est de 3,4 % contre 2,5 % pour la grippe ou une fracture osseuse. Les calculs biliaires et les infections de la peau sont aussi particulièrement éprouvants, le taux d’incidence de maladies psychiatriques est respectivement de 3,2 et 3,4 %.
Il y a donc un lien intime entre la Covid-19 et la santé mentale des malades. Comment l’expliquer ?
Une nouvelle pandémie qui se profile ?
La première piste à explorer est celle de l’agent étiologique de la Covid-19, le SARS-CoV-2. Ce coronavirus provoque des symptômes neurologiques (maux de tête, perte de goût et de l’odorat, perte de repère, etc.), et les recherches les plus récentes attestent de sa capacité à infecter les neurones, chez la souris pour le moment. Des lésions cérébrales ont été observées dans des coupes de tissus issues de patients décédés de la maladie.
De plus, la présence du SARS-CoV-2 provoque une réaction inflammatoire systémique et intense qui semble aussi atteindre le cerveau, en dépit du fait qu’il soit protégé par la barrière hémato-encéphalique. Le lien entre ces observations physiologiques et les symptômes neurologiques n’a pas encore été clairement établi. Difficile donc de conclure que l’infection par le SARS-CoV-2 est à l’origine des séquelles mentales observées chez les survivants de la Covid-19, d’autant plus qu’il n’y a pas de grandes différences dans l’incidence des diagnostics psychiatriques entre les personnes hospitalisées et non hospitalisées, témoins de la sévérité de l’infection.
En plus du stress de se savoir malade, le confinement et l’ambiance pandémique de cette dernière année sont probablement à l’origine de cette augmentation inquiétante des diagnostics psychiatriques chez les survivants de la Covid-19. Et ils ne sont pas les seuls à en souffrir, les étudiants, le personnel soignant et la population générale ont aussi partagé leur fatigue et leur angoisse. Les scientifiques, qui travaillent dans le domaine de la psychologie et des neurosciences, ont aussi partagé leurs inquiétudes dans un bon nombre d’articles publiés dans des revues scientifiques prestigieuses et ce, depuis plusieurs mois. L’équipe d’Oxford n’a pas pu déterminer la temporalité des troubles anxieux, de l’humeur et des insomnies ; après les six mois, ils étaient toujours présents. Lorsque la pandémie de coronavirus aura pris fin, il s’agira d’en affronter une deuxième : celle des maladies mentales.
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