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les hommes sur la Lune, au cœur des théories du complot depuis cinquante ans


« Est-ce humainement possible d’aller aussi loin ? (…) On va aller très loin, aussi loin qu’aucun être humain ne s’est jamais éloigné de la Terre. »

Il a suffi d’une petite phrase de l’astronaute français Thomas Pesquet sur France 2, mardi 30 août, à propos des futures missions Artemis, pour réveiller un argument classique du complotisme selon lequel les humains n’auraient jamais mis les pieds sur la Lune.

Ces propos ont ainsi été partagés hors contexte sur Twitter par des personnages controversés comme l’essayiste Idriss Aberkane, l’avocat Fabrice Di Vizio ou l’ancien éditorialiste de RT France Alexis Poulin. « Mais pourquoi doit-on perdre un temps précieux avec ça une fois de plus : bien sûr que oui, l’humain est allé sur la lune pendant les missions Apollo. Et on va y retourner, » a répondu Thomas Pesquet.

Sa déclaration se référait en effet aux futures orbites autour de la Lune, prévues dans la mission Artemis II, qui seront bien plus éloignées que celles des missions Apollo. Mais pour certains commentateurs suspicieux, l’astronaute avouait que les Américains n’auraient jamais foulé le sol de la Lune. Cette théorie du complot, que l’on croyait passée de mode, est en réalité presque aussi vieille que les missions Apollo elles-mêmes.

De vieilles thèses restées longtemps minoritaires

En décembre 1969, cinq mois après les premiers pas de Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune, le New York Times relevait les doutes des membres d’une association qui clamaient que l’exploit de la NASA aurait été réalisé en plein désert du Nevada. Il faut attendre 1976 pour qu’un inconnu, Bill Kaysing, accuse l’agence spatiale d’avoir organisé un canular, dans un court livre autoédité, We Never Went to the Moon.

Cet homme sans formation scientifique, employé chez Rocketdyne, un sous-traitant de la NASA, entre 1956 et 1963, affirme que les ingénieurs de cette entreprise motoriste de la fusée Saturn V, lui auraient confié leurs doutes sur la possibilité technique d’aller sur la Lune et d’en revenir en sécurité. Il y développe aussi les premiers grands arguments classiques qui seront popularisés plus tard (absence d’étoiles dans le ciel lunaire visible sur les clichés, absence de cratères creusés par le souffle des moteurs, etc.). Emmanuel Kreis, historien du conspirationnisme au CNRS, l’explique ainsi :

« L’idée, pour Bill Kaysing, est de prouver qu’il s’agit d’une escroquerie de “30 milliards de dollars” et que l’on a financé à grands frais un projet qui n’existe pas. »

« Au moment où ces théories se diffusent le plus, les Américains ont la preuve, avec le Watergate, que le gouvernement leur ment » – Romy Sauvayre, sociologue des sciences

Ses accusations ne rencontrent pas un grand écho à l’époque mais contribuent à accroître la méfiance envers le pouvoir fédéral américain, dans un contexte politique propice au soupçon. Comme le rappelle Romy Sauvayre, sociologue des sciences et de la croyance à l’université Clermont Auvergne et au CNRS :

« Au moment où ces théories se diffusent le plus, les Américains ont la preuve, avec le Watergate, que le gouvernement leur ment, et la défiance vis-à-vis des institutions grandit. »

C’est aussi dans ce contexte que sort au cinéma, en 1978, Capricorn One, une fiction qui met en scène une mission spatiale vers Mars dont les images sont tournées par la NASA dans un hangar. Six ans plus tôt, les studios hollywoodiens refusaient encore de le produire, mais le Watergate a rendu ses thèses « plus acceptables », estimait le New York Times à la sortie du film.

La thèse d’un canular de la NASA sort progressivement de l’ombre. « Quand je suis arrivé aux Etats-Unis [en 1992], c’est un sujet qui était évoqué entre astronautes », se rappelle l’ancien astronaute Jean-François Clervoy. Mais la crédibilité de ces thèses est longtemps restée faible dans l’opinion publique américaine. Deux sondages réalisés en 1995 et en 1999 estimaient à 6 % la part des Américains pensant que l’homme n’avait jamais marché sur la Lune.

Regain d’intérêt dans les années 2000

Au début du XXIe siècle, ces théories gagnent néanmoins en popularité, à la suite de deux documentaires. Le premier, diffusé en février 2001 par Fox TV, Conspiracy Theory : Did We Land on the Moon ?, relance les thèses de Kaysing en pointant des anomalies sur les photos prises à la surface de la Lune. Très commentées aux Etats-Unis, elles ont été réfutées par de nombreux acteurs du spatial et de l’astronomie.

L’année suivante sort en France un « documentaire » très différent, Opération Lune. Réalisé par William Karel et diffusé sur Arte, il appuie d’abord l’hypothèse d’un canular orchestré par la CIA et filmé par Stanley Kubrick, avant de révéler à la toute fin que le documentaire lui-même est un canular et ses intervenants des acteurs. Le caractère parodique de la démarche échappe néanmoins à une partie de son audience.

Le sentiment antiaméricain, qui s’est accru dans les années 2000 après l’invasion de l’Irak, a aussi contribué à populariser ces récits

Le gain de popularité de ces thèses coïncide avec le lancement de l’ambitieux programme lunaire Constellation, début 2004. « A ce moment-là, aux Etats-Unis, on parle beaucoup d’Apollo. Je pense que ça a contribué à refaire jaser sur la théorie du complot et sur les missions Apollo à l’époque », se rappelle Jean-François Clervoy.

Enfin, le sentiment antiaméricain, qui s’est accru dans les années 2000 après l’invasion de l’Irak, a aussi contribué à populariser ce récit qui déniait l’exploit technologique d’Apollo-11. « Les taux d’adhésion à cette théorie les plus élevés sont observables dans quatre pays qui nourrissent des sentiments de défiance à l’égard des Etats-Unis comme le Mexique (31 %), la Turquie (28 %), l’Arabie saoudite (28 %) et l’Egypte (27 %), comme pour la théorie du complot sur les attentats du 11-Septembre », rappelle Rudy Reichstadt, directeur de ConspiracyWatch.

Abondant sujet de parodies

Toutefois, la majorité de la population ne les prend pas au sérieux. Elles sont même un objet récurrent de moqueries. Au début des années 2000, MoonTruth.com, un site parodique, avait mis en ligne une vidéo humoristique dans laquelle des membres de l’équipe de tournage apparaissent sur la séquence des premiers pas sur la Lune. « Ce clip est bidon, ce n’est pas un extrait d’une bobine top secrète de la NASA », ont fini par révéler ses auteurs. De 2017 à 2020, sur le bouillonnant forum Reddit, la sous-communauté des « Moon Truthers » (« les chercheurs de vérité lunaire ») s’est également fait une spécialité de tourner en dérision les argumentaires complotistes. Ironiquement, nombre de ces contenus parodiques finissent par être repris au premier degré.

Ces théories ont pourtant fait l’objet de très nombreuses et précises réfutations de la part des scientifiques ces vingt dernières années, lesquels n’ont eu aucune peine à démonter les soi-disant preuves d’une mise en scène. « Il y a une liste énorme d’arguments [complotistes], mais les principaux partent d’une incompréhension de la façon dont fonctionnent les lois de la physique », résume Romy Sauvayre.

Les innombrables démystifications publiées dans les années 2000 et 2010 n’ont pas suffi à détromper les convaincus. « Les mecs n’écoutent pas de toute façon, ils parlent de vérité mais choisissent des trucs qui les arrangent et ignorent le reste », s’est agacé Thomas Pesquet sur Twitter mercredi 31 août.

Un soupçon qui s’est sédimenté

On aurait pu croire ces théories tombées en désuétude. Avant cet épisode, sur Twitter, les discours niant que l’on ait marché sur la Lune étaient, d’un point de vue quantitatif, « vraiment minoritaires, même minuscules », relève Romy Sauvayre, au contraire des discours sur le vaccin ou la 5G. Ils étaient cantonnés aux confins d’Internet, sur des plates-formes radicales comme CrowdBunker ou BitChute. Et encore, leur audience y était ultra-confidentielle, souvent constituée des quelques derniers « platistes » (adeptes de la théorie selon laquelle la Terre est plate) à ne pas avoir migré vers la mythologie QAnon. « C’est une théorie qui a vécu, en tout cas pour ce qui est de pays comme la France ou les Etats-Unis, estime Rudy Reichstadt. Peut-être parce que la conquête de la Lune revêt un enjeu politique moindre par rapport à l’époque où Washington en faisait un levier de prestige dans la guerre idéologique avec le bloc de l’Est. » Elle est aussi moins mobilisatrice que des événements plus récents, comme le 11-Septembre ou la pandémie de Covid-19.

Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ait disparu, comme l’avait déjà montré, au printemps, le détournement de propos elliptiques de Buzz Aldrin. Elle s’est juste sédimentée, et les soupçons sur l’expédition lunaire de 1969 s’étendent aujourd’hui à d’autres initiatives spatiales. En 2021, plusieurs conspirationnistes ont ainsi affirmé que les images de Mars avaient été prises au Groenland, en Bulgarie ou encore au Canada.



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Written by Stephanie

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