Dans son célèbre cours de physique de licence, le prix Nobel de physique Richard Feynman montrait dès la première année comment il était possible, avec des moyens de calculs numériques élémentaires déjà sur des ordinateurs simples du tout début des années 1960, de décrire et prédire les mouvements de N points matériels modélisant des planètes se déplaçant sous l’action de l’attraction universelle. Il s’agit typiquement de ce qui s’appelle un problème à N corps dont on sait qu’il est très difficile à résoudre analytiquement, que ce soit avec des planètes, des étoiles dans une galaxie ou un gaz d’électrons dans un solide.
En fait, il existe toute une théorie largement constituée initialement par les travaux de Lagrange, Laplace, Gauss mais aussi de Hamilton, Siméon Denis Poisson et Sophus Lie (tous mathématiciens) du XVIIIe au XIXe siècle, qui permet de calculer analytiquement et numériquement jusqu’à un certain point les mouvements d’au moins trois corps, non ponctuels, en mécanique céleste. Des formes modernes de cette théorie, avec des corrections venant de la théorie de la gravitation d’Einstein et qui introduit dans les équations des termes dits non-newtonniens, sont utilisées pour comprendre notamment la formation et l’évolution du Système solaire mais aussi des systèmes exoplanétaires.
On peut se faire une idée de toutes ces théories développées depuis plus de deux siècles maintenant avec des ouvrages bien connus comme ceux de Goldstein (un grand classique de la mécanique donnant des outils pour comprendre la mécanique quantique et relativiste en bonus) et de Fitzpatrick.
Elles avaient déjà permis non seulement à Leverrier de découvrir Neptune en raison de son influence sur les mouvements d’Uranus mais aussi à Milutin Milankovitch, mathématicien, géophysicien, astronome et climatologue serbe, de découvrir l’origine des cycles glaciaires dont témoignent les archives géologiques du quaternaire de notre Planète bleue.
Que sont les cycles de Milankovitch ? Cette vidéo nous l’explique. © L’Esprit Sorcier Officiel
De Milankovitch à l’exobiologie
On sait depuis Kepler que les orbites des planètes du Système solaire sont des ellipses plus ou moins excentrique, parfois très proches d’un cercle ou au contraire très allongés comme dans le cas d’autres corps célestes sur des orbites périodiques, certaines comètes. Il existe en fait plusieurs paramètres qui servent à caractériser les mouvements de la Terre, non seulement les valeurs du demi grand axe et de l’excentricité de l’orbite de la Terre mais aussi l’inclinaison de son axe par rapport à son plan orbital autour du Soleil.
Ces paramètres jouent sur l’ensoleillement de la surface de la Terre, l’énergie qu’elle reçoit du Soleil et donc in fine sur l’existence des saisons et comme on l’a dit des cycles glaciaires (voir vidéo ci-dessus). Milutin Milankovitch a montré que ces derniers étaient dus au départ à des modifications périodiques de l’excentricité de l’orbite de la Terre et de l’obliquité de son axe de rotation.
Il a démontré qu’elles sont la conséquence de l’attraction gravitationnelle des autres planètes du Système solaire, en particulier Jupiter et Saturne, du fait de leur masse importante, mais aussi Vénus ou Mars par leur proximité. Comme excentricité et obliquité gouvernent l’insolation et les saisons sur Terre, ces modifications changent le climat et influent sur l’habitabilité de la Terre, c’est-à-dire sa capacité à maintenir sur le long terme de l’eau liquide à sa surface.
On sait que la question de l’habitabilité est en fait une question complexe car il faut aussi prendre en compte l’existence d’une atmosphère capable de créer un effet de serre, lequel peut aussi bien rendre une planète a priori trop froide parce que trop loin de son soleil finalement, accueillante pour la vie, en faisant grimper sa température moyenne ou au contraire, la transformer en enfer vénusien.
Toujours est-il qu’aussi bien pour l’évolution à long terme de l’habitabilité de la Terre ou de certaines exoplanètes, il est potentiellement utile d’étudier l’influence des perturbations gravitationnelles sur les paramètres orbitaux et de rotation de la Terre ou d’autres exoplanètes pour préciser l’habitabilité passée, présente ou future de ces dernières.
Le futur du Système solaire ?
Un groupe d’astronomes états-uniens et australiens s’est à nouveau penché sur ces questions en faisant des calculs à N corps complexes et tenant compte de la relativité générale dans lesquels ils ont fait varier l’excentricité de l’orbite de Jupiter mais pas la valeur de son demi-grand axe, donnant une estimation de la distance de Jupiter au Soleil.
Comme ils l’expliquent dans un article publié dans Astronomical Journal et accessible en libre sur arXiv, ces chercheurs ont découvert que cela induirait à son tour de grands changements dans la forme de l’orbite terrestre.
« Si la position de Jupiter restait la même, mais que la forme de son orbite changeait, cela pourrait en fait augmenter l’habitabilité de cette planète », résume en une phrase l’astronome Pam Vervoort, auteur principal de l’étude et en poste à l’Université de Riverside en Californie.
Dans le communiqué de cette Université, elle précise que « beaucoup sont convaincus que la Terre est l’incarnation d’une planète habitable et que tout changement dans l’orbite de Jupiter, étant la planète massive qu’elle est, ne pourrait être que mauvais pour la Terre. Nous montrons que les deux hypothèses sont fausses ».
Les nouveaux calculs des chercheurs montrent que l’excentricité de l’orbite de la Terre changerait de sorte qu’elle serait un peu plus chaude en moyenne et que les régions polaires auraient en conséquence des couvertures glaciaires moins importantes, ce qui augmenterait donc, selon eux, l’habitabilité de notre Planète bleue.
En revanche, si en plus d’une orbite plus excentrique, Jupiter avait un demi-grand axe plus court, alors ce serait l’obliquité de la Terre qui serait changée, c’est-à-dire l’inclinaison de son axe de rotation par rapport à celui de son plan orbital et il en résulterait une inclinaison plus forte et des régions plus importantes qui seraient couvertes de glace.
Toutes ces conclusions s’appliqueraient potentiellement également à un autre Système d’exoplanètes avec une exoterre. Rappelons également que notre Système solaire est sujet à une certaine instabilité chaotique, de sorte que le scénario des chercheurs pourrait peut-être devenir la réalité de demain.