Décidément, Toulouse est une véritable capitale de la recherche martienne. Outre les spectromètres laser ChemCamChemCam et Supercam, on y a aussi fabriqué le tout premier sismomètre martiensismomètre martien, d’une précision époustouflante. Même si sa mise à la retraite est imminente suite à la proche fin de la mission d’InsightInsight, Seis nous surprend toujours, et aujourd’hui il boucle son dernier objectif scientifique. C’est donc un succès total pour l’instrument, qui a mesuré plus de 1.300 séismesséismes depuis début 2019.
L’atterrisseur InSight a enregistré l’entrée d’un météoroïde dans l’atmosphère ténue de Mars, son explosion puis son impact sur le sol. Écoutez l’enregistrement capturé à la surface de Mars. © Nasa, JPL-Caltech
Un formidable pouvoir de documentation
« On détecte désormais plus d’impacts de météorites sur Mars que sur Terre », nous dit Raphaël Garcia, en précisant que le seul impact sur Terre enregistré par des sismomètres s’est déroulé en Bolivie, créant un cratère de 10 mètres de diamètre. Pour rappel, les exemples russes de ToungouskaToungouska ou de Tcheliabinsk sont des explosions qui se sont déroulées dans le ciel, pas des impacts.
La seule fois où la localisation s’est faite à l’aide de sismomètres a eu lieu lors d’une explosion de gaz en Allemagne. Mais, ici, nous sommes bien sur Mars. Et c’est à l’aide d’une des huit sondes en orbiteorbite autour de la planète qu’on a pu compléter le travail de Seis : le sismomètre localise les impacts, les caméras CTX et HiRise de Mars Reconnaissance Orbiter les confirment, repèrent les cratères en comparant avant et après l’impact, et communiquent même des informations sur sa taille. Un pouvoir de documentation d’événements sans égal dans l’exploration spatiale, et très utile à l’avenir.
Des applications pour les missions habitées
La mission de Seis s’achève, et déjà son héritage est prévu sur la LuneLune. Deux sismomètres, constituant la Farside Seismic Suite – FSS, doivent atterrir dans le cratère Schrödinger, sur la face cachée, près du pôle Sud, en 2025. FSS sera construit sous la maîtrise d’œuvre du JPLJPL, en collaboration avec le Cnes et les laboratoires spatiaux français impliqués dans la fourniture des capteurscapteurs (Institut de PhysiquePhysique du Globe de Paris, ISAE-Supaéro et le laboratoire AstroparticuleAstroparticule et CosmologieCosmologie – APC). Avec cette nouvelle méthode, ces sismomètres pourront documenter le flux de météorites impactant le pôle Sud lunaire, là où la NasaNasa compte envoyer ses astronautesastronautes du programme Artemis, et même y construire une base lunaire. Pour rappel, le tout premier sismomètre lunaire avait été déposé par Buzz AldrinBuzz Aldrin lors de la mission Apollo 11.
Entretien avec Raphaël Garcia, chercheur à l’ISAE à Toulouse, et premier auteur de l’étude.
Futura : Comment avez-vous distingué les impacts de météorites parmi tous les séismes enregistrés par Seis ?
Raphaël Garcia : D’abord, Seis a ressenti les ondes sismiquesondes sismiques mais il a aussi entendu le bruit de l’explosion au travers des rotations du sol qu’impose l’onde de choc lorsqu’elle arrive sur le capteur. C’est un peu comme l’explosion de l’usine AZF. Les gens ont eu l’impression qu’il y avait eu deux explosions parce qu’ils ont d’abord senti le sol vibrer, puis entendu le bruit de l’explosion.
Futura : Comment avez-vous pu localiser les cratères avec précision ?
Raphaël Garcia : Nous avons utilisé ce décalage de temps entre l’arrivée des ondes sismiques et celle des ondes acoustiquesondes acoustiques pour déterminer la distance entre Seis et le lieu de l’impact. Ensuite, pour savoir dans quelle direction était l’impact, nous avons scruté les déformations du sol sous l’effet de l’onde acoustique. Pour avoir une localisation précise, on a supposé que les modèles d’atmosphèreatmosphère de Mars reproduisent bien les vitesses du sonvitesses du son et des ventsvents, qu’on connaît bien aujourd’hui. Nous avons donc fourni une localisation, ensuite l’équipe de l’imageur CTX [caméra de contexte – Context Imager, du MRO] a pris des images à cet endroit-là.
Ils n’ont pas toujours trouvé directement les cratères, mais plus la poussière qui a été soulevée lors de l’impact, qui couvre une zone plus grande. Une fois qu’ils ont trouvé cette blast zone, ils ont pris des images précises à 20 cm de résolutionrésolution avec la caméra HiRise pour déterminer la taille exacte des cratères.
Futura : Plusieurs sondes ont donc été nécessaires à cette étude
Raphaël Garcia : Ce qui est joli, c’est d’arriver à localiser avec un seul instrument capable d’enregistrer à la fois les ondes sismiques et les ondes acoustiques, puis d’avoir toute cette batterie d’imageurs qui peuvent prendre des images d’une résolution allant de 6 m à 20 cm. C’est joli de voir dans cette étude la complémentarité entre les missions. Sans cela, rien n’aurait été possible.
Futura : Cette méthode de détection d’impact a-t-elle déjà eu d’autres antécédents ?
Raphaël Garcia : Oui, une fois en Allemagne. Lors d’une explosion de gaz, des sismomètres ont détecté les ondes infrason et ont montré que la polarisation pointait dans la direction de l’explosion.
Futura : Cette étude est donc une première pour la détection d’impact avec Seis ?
Raphaël Garcia : Effectivement. On pense que d’autres impacts ont été enregistrés par Seis, mais on n’était pas capable de les différencier des séismes. Maintenant, on est en train de reprendre toutes les données Seis et de regarder quels sont les événements sismiques qui résultent d’impacts. Peut-être même que le premier séisme enregistré était un impact ? On n’en est pas encore sûr.
Futura : C’est donc un nouvel objectif scientifique de rempli pour Seis ?
Raphaël Garcia : Oui, cela clôt un peu le succès de la mission Seis. C’était un des objectifs scientifiques qui restait à remplir, et qui n’est pas complètement indépendant des autres car jusqu’à présent on essayait de connaître à la fois la structure du sous-sol et la source des ondes avec le même capteur. En séparant la source [dans le cas d’un impact, Ndlr], on pourra mieux imager la croûtecroûte martienne. On a d’ailleurs vérifié que les modèles actuels prédisaient bien l’arrivée des ondes.
Futura : Donc il n’est pas nécessaire de bien connaître la croûte martienne pour faire ce genre d’expérience ?
Raphaël Garcia : Oui et non, on est parti sur l’hypothèse qu’on connaît le rapport entre les vitesses des ondes P et les vitesses des ondes S. On n’avait pas trop besoin de la vitesse des ondes P car ce sont plus les zones acoustiques qui contraignent la distance vu qu’elles se propagent lentement. Donc effectivement, on va avoir une meilleure imagerie de la structure interne, en particulier autour d’Insight, et en particulier la croûte. Étant donné que les impacts sont proches, on image plutôt les 20 à 30 premiers kilomètres [de profondeur].
Futura : C’est aussi la première fois qu’on détecte des infrasons sur Mars ?
Raphaël Garcia : Oui, ce sont des sons très basse fréquencefréquence qui se propagent dans l’atmosphère de mars et ça a été utilisé dans le papier pour imager la structure de l’atmosphère.
Futura : Quelles sont les applications pour les missions futures ?
Raphaël Garcia : Nous pouvons maintenant quantifier les relations entre les processus d’impact et les ondes sismiques : pour telle taille de cratère, je vais avoir telle énergie sismique émise. On saura mieux combien d’ondes sismiques sont produites par les impacts et on pourra mieux connaître les capacités d’enregistrement d’impact d’un futur sismomètre, comme celui qu’il y aura sur la Lune par exemple.
Futura : On peut utiliser un procédé semblable sur la Lune ?
Raphaël Garcia : Il n’y a pas d’onde acoustique sur la Lune car il n’y a pas d’atmosphère, mais avec les différentes sondes qui orbitent autour, on pourra imager les cratères localisés par des sismomètres. Il y a aussi la détection de flashflash d’impact. Lorsqu’un objet impacte la surface, il crée une petite lumièrelumière de très courte duréedurée qui peut être observée depuis la terre ou depuis l’orbite lunaire. Ça va être aussi un bon moyen de mobiliser les astronomesastronomes amateurs, qui, en détectant les flashs sur la Lune, aideront le sismomètre à fournir des informations, comme l’heure exacte de l’impact.
Futura : Cela peut donc servir à la sécurité des missions habitées sur la Lune ?
Raphaël Garcia : Pour la Lune, on connaît bien les impacts des grosses météorites, mais pas trop des petites, et ça constitue un risque significatif pour les missions habitées. Ce sont surtout les micrométéorites dont on connaît mal le flux puisque sur Terre, elles brûlent tout de suite dans l’atmosphère.