D’abord, un puissant mal de tête, des vertiges. Ensuite, comme une lourdeur dans les cuisses. Sonnée, Belen Jimenez, 15 ans, a tenté de quitter sa salle de classe, le vendredi 1er avril : impossible, ses jambes ne la portaient pas. « Un camarade m’a soutenue jusqu’à l’infirmerie. J’avais peur, envie de pleurer », se rappelle l’élève de 2de du lycée polytechnique de Quintero.
Comme elle, des dizaines de personnes ont été intoxiquées en 2022, après avoir respiré des composés volatils organiques, à Quintero-Puchuncavi, deux villes voisines de plus de 50 000 habitants, situées à 160 kilomètres au nord-ouest de Santiago, la capitale. Une centaine de cas ont été recensés rien que début juin.
Pendant une semaine entière, les établissements scolaires ont été fermés : les enfants sont davantage sensibles à ces épisodes. Les autorités le savent. Le pic de pollution est loin d’être le premier dans cette zone ultra-industrialisée qui, de l’aveu même des responsables politiques, est « sacrifiée » en matière sanitaire et environnementale.
Les habitants évoquent un malaise constant et des intoxications régulières, ce qui vaut à la zone le nom de « Tchernobyl chilien », lancé par l’ONG Greenpeace. « Je commence ma journée avec du paracétamol et un anti-inflammatoire », raconte Maria Sarabia, 49 ans, la mère de Belen, et membre de l’association de parents d’élèves du lycée polytechnique de Quintero.
Elle rapporte, à l’instar de ses voisines, des céphalées soudaines en pleine nuit, des nausées sans explication. « Ici, tu as mal à la tête ? C’est normal. On nous tue petit à petit, parce qu’on tombe malade petit à petit », corrobore Rosa Jarra, 54 ans, habitante de Quintero, elle aussi membre de l’association.
« Le prix à payer de la modernité »
Pourtant, Quintero-Puchuncavi a des allures de carte postale : la baie, battue par le Pacifique, ses maisons de pêcheur ou de villégiature, ocre, jaunes, rouges. Et la brume qui plonge la falaise dans un bleu gris ouaté. Un décor qui a inspiré les poètes chiliens. Puis, dans la continuité, comme une irruption : quatre turbines, une centrale électrique à charbon crachant de la vapeur et un port, qui composent le complexe industriel dantesque de la baie. Quinze entreprises, employant plus de 3 500 personnes, selon la mairie de Puchuncavi.
Cette installation, commencée dès 1958, n’a cessé de s’étoffer au fil des années, notamment avec l’arrivée de la fonderie puis de la raffinerie de Codelco, le poids lourd public du cuivre, de l’entreprise chilienne chimique Oxiquim, de la firme gazière chilienne Gasmar, d’une cimenterie… Au Chili, il s’agit de l’une des cinq zones dites « de sacrifice », répertoriées dans une note technique du Congrès datant de juillet 2022, reconnues également par l’ONU. Toutes ont en commun la présence d’une centrale à charbon.
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