La revue des revues. Quelle peut être l’empreinte carbone d’un combat de char dans la steppe ukrainienne ? A l’heure de l’accélération du dérèglement climatique et du retour d’un conflit conventionnel de haute intensité entre Etats, la question n’a rien d’absurde, même si cela reste aujourd’hui un impensé. Dans son deuxième numéro, la revue Green (Géopolitique, Environnement, Energie, Réseaux, Nature) – publication scientifique du groupe d’études géopolitiques de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, qui édite aussi Le Grand Continent –, veut penser la guerre et l’écologie sous tous ses aspects, notamment la notion d’« écologie de guerre ».
« Dans le contexte d’une agression militaire conduite par un Etat pétrolier contre l’un de ses voisins à des fins de consolidation impériale, l’écologie de guerre consiste à voir dans le tournant vers la sobriété énergétique une arme pacifique de résilience et d’autonomie », écrit le philosophe Pierre Charbonnier, directeur scientifique de Green, soulignant que « l’ennemi est à la fois la source de la déstabilisation géopolitique et le détenteur de la ressource toxique ».
Avec une approche interdisciplinaire réunissant des spécialistes de l’environnement et de l’énergie, des économistes, des historiens, des philosophes, des anthropologues et des chercheurs en questions stratégiques, Green apporte de très stimulantes pistes de réflexion.
Croisement de l’écologie et du militaire
Les principes de l’écologie politique dans un tel contexte ne doivent pas seulement s’ajuster au temps de la guerre, mais ils sont aussi redéfinis et subordonnés à cet impératif. Une telle situation peut être l’occasion de transformer, planifier et réguler l’économie. Sans pour autant se faire trop d’illusions. « Comme il était illusoire de croire au XXe siècle que la planification de la guerre mène au socialisme, on se doit d’être sceptique sur l’idée que la crise énergétique actuelle puisse se transformer en prise de conscience salutaire et en changement de modèle à long terme », relève l’économiste Eric Monnet.
Dans un article commun, Adrien Estève, Florian Opillard et Angélique Palle, de l’Institut de recherches stratégiques de l’école militaire (Irsem), réfléchissent aux diverses conséquences de ce croisement de l’écologie et du militaire. Les gouvernements recourent ainsi de plus en plus aux forces armées pour faire face aux catastrophes naturelles liées à la crise climatique.
« La triple exigence d’atténuation de l’empreinte écologique des armées, de contribution à la gestion des crises environnementales en soutien des pouvoirs civils, et de maintien d’une efficacité opérationnelle face à un ennemi possiblement de même niveau demande des choix à horizon très court pour des effets à long terme sur un environnement stratégique difficilement anticipable », soulignent les trois chercheurs.
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