C’est promis, le physicien Alain Aspect fera repousser sa célèbre moustache pour la remise du prix Nobel à Stockholm, le 10 décembre, comme il l’a affirmé lors de l’émission « Quotidien » sur TMC, le 5 octobre. L’attribut qui le singularise depuis sa jeunesse a en effet laissé la place à une barbe grisonnante depuis quelques semaines.
Pour le reste, à 75 ans, il ne change pas. Accent du Sud-Ouest, œil pétillant lorsqu’il explique avec moult gestes le comportement de ses objets fétiches, les photons, des grains de lumière… Et une incroyable mémoire des moindres détails des expériences qui l’ont rendu célèbre et lui valent la récompense cette année au côté de l’Américain John Clauser et de l’Autrichien Anton Zeilinger. Tous trois, à des époques différentes – années 1970, 1980 et 2000 –, ont tranché un débat quasi philosophique sur l’interprétation de la mécanique quantique, qui échauffait les plus brillants esprits, dont Albert Einstein et Niels Bohr, depuis cinquante ans.
La mécanique quantique, développée dans l’entre-deux-guerres pour expliquer le comportement des électrons, atomes ou photons (bref de tout ce qui nous entoure !), est-elle intrinsèquement bizarre ou bien « normale », semblant étrange seulement parce que sa description est incomplète, comme si un truc de magicien restait à découvrir ?
« Personne n’y croyait »
« La bête résiste ! C’est étrange mais c’est comme ça », tranche Alain Aspect, quinzième Nobel français en physique, dans son bureau de l’Institut d’optique (à Palaiseau, dans l’Essonne), aux étagères croulant sous les thèses de ses maîtres, collègues ou élèves. La « bête », c’est la mécanique quantique, dont il a observé une propriété étonnante, qui donne raison à Bohr contre Einstein. Si vous fabriquez, avec un peu de subtilité, deux photons par paire et que vous les éloignez l’un de l’autre, leurs propriétés resteront liées, même à grande distance. Toucher à l’un modifiera instantanément l’autre avec un résultat sûr à 100 %. C’est l’intrication quantique.
« Quand on s’est attaqués à cette question, dans le labo personne n’y croyait et certains se moquaient », se souvient Philippe Grangier, en thèse en 1981 avec Alain Aspect, lors des premières expériences à l’Institut d’optique de l’université Paris-Saclay.
Pour lutter contre l’adversité, Alain Aspect a déployé plusieurs de ses qualités. Débrouillard, il invente ses propres composants, qui n’existaient nulle part ailleurs, comme une source de photons bien meilleure que celle du pionnier John Clauser. Il se fait prêter du matériel électronique par un laboratoire du CEA voisin de l’Institut d’optique, sa « maison », qu’il remercie sans cesse pour son soutien.
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