Environnement sain et transition climatique d’un côté, acceptabilité et justice sociale de l’autre. La question des zones à faibles émissions (ZFE) concentre l’une des questions politiques majeures de notre époque, l’une des plus complexes et des plus explosives aussi. Instaurées en 2019 par la loi d’orientation des mobilités, les ZFE visent à limiter, voire à interdire la circulation des véhicules les plus polluants au cœur des villes.
Outre la lutte contre les émissions de CO2, il s’agit de combattre le fléau sanitaire que représentent les gaz d’échappement : la pollution atmosphérique provoque 48 000 décès prématurés chaque année en France et, selon une étude de 2016, l’exposition aux particules fines peut réduire l’espérance de vie de deux ans dans les villes les plus polluées.
Treize métropoles, dont Paris, ont délimité une ZFE et ont adopté son statut. D’ici à 2025, 43 villes de plus de 150 000 habitants devront l’avoir fait. Les modalités étant confiées aux collectivités territoriales, la mise en œuvre de cette innovation, qui suppose des changements drastiques dans les habitudes de vie quotidienne, s’avère disparate, comme l’indique l’enquête du Monde. Le calendrier, comme les horaires d’application ou les mesures de compensation varient selon les métropoles.
Bienvenue, cette souplesse génère cependant des incohérences et des inégalités qui appellent des efforts d’information et une politique d’harmonisation et de compensation. Pourquoi l’aide à l’achat de véhicules non polluants est-elle réservée aux habitants de la zone concernée, alors que les résidents de la périphérie, souvent moins aisés et plus dépendants de leur véhicule, n’y ont pas droit ?
La tentation de la transgression
Les automobilistes niçois, dont la ville est survolée constamment par les avions, ou les Rouennais, entourés d’industries polluantes, comprennent mal pourquoi ils sont les seuls à se voir imposer des mesures contraignantes. La brutale hausse du prix des véhicules, même d’occasion, rend encore plus difficile la mise en œuvre d’une politique qui exige le remplacement d’une large partie du parc automobile. Alors que les ménages les plus favorisés accèdent sans problème aux nouveaux modèles conformes, les moins aisés peinent à remplacer leur petite citadine diesel.
La mise en œuvre des ZFE, absolument indispensable et en même temps ultrasensible, nécessite des efforts d’information et d’accompagnement financier des particuliers comme des professionnels qui font trop souvent défaut. Elle doit être associée à une politique de densification, de cadencement et de montée en capacité des transports publics et d’aménagement urbain privilégiant les déplacements non polluants.
Alors que la nouvelle réglementation, souvent assortie d’exceptions en soirée ou le week-end ou de dérogations pour les petits rouleurs, est généralement appliquée avec souplesse, des manifestations de mécontentement sont déjà observées. Des usagers obligés de la voiture sont tentés par la transgression. Qu’en sera-t-il lorsque, comme cela paraît inéluctable, des contrôles automatisés seront introduits ?
Les élus locaux, premiers destinataires des mécontentements liés aux transports, ont raison de reprocher au gouvernement, tétanisé par le précédent des « gilets jaunes », son manque d’implication et sa pusillanimité. Si l’organisation des ZFE relève des politiques locales, c’est bien à l’Etat d’avoir le courage d’impulser les immenses mutations imposées par la catastrophe climatique et de remédier aux injustices qu’elles mettent en lumière.