Soudain, la torpeur automnale d’Astana, la capitale kazakhe battue par les vents des steppes, cède la place à une déroutante frénésie sécuritaire. En ce mercredi 12 octobre, des milliers de policiers se postent tous les 100 mètres, sur les grandes avenues. Des rues entières se ferment à la circulation. Les véhicules sont fouillés aléatoirement autour de l’aéroport. Les écoliers sont priés de rester chez eux. Motif : la ville accueille une série de sommets régionaux jusqu’au week-end, dont une rencontre entre le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan.
Leur hôte, le président kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, affiche le sourire diplomatique de rigueur. Rien, sur son visage, ne laisse deviner la délicate ligne de crête sur laquelle il se trouve. « Il ne soutient pas la guerre en Ukraine et prend de plus en plus ses distances avec Moscou, mais il ne peut absolument pas se fâcher avec Poutine », résume Maximilian Hess, spécialiste de l’Eurasie au Foreign Policy Research Institute, un centre de réflexion américain.
Et pour cause : l’économie kazakhe est très dépendante de la Russie – celle-ci pèse 11,5 % des exportations et 42,1 % des importations –, avec qui le pays partage 7 500 kilomètres de frontière au nord. Surtout : 80 % du pétrole que le Kazakhstan exporte passe par le territoire russe pour rejoindre le port de Novorossiysk, sur la mer Noire, via le Caspian Pipeline Consortium (CPC), dont Moscou est actionnaire à hauteur de 31 %. Un oléoduc également vital pour l’Union européenne (UE) : le pétrole qui y circule représente 56 % des importations d’or noir de la Roumanie, 25,6 % de celles de l’Italie, 15,2 % de celles de la France ou encore 8 % de celles des Pays-Bas.
La Russie ne se prive pas d’instrumentaliser cette dépendance. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février, elle a déjà suspendu à quatre reprises la livraison du pétrole kazakh par le CPC. Officiellement, pour diverses raisons de maintenance. En vérité, pour rappeler Astana à l’ordre chaque fois qu’il affirme un peu trop fort son indépendance à l’égard de Moscou.
« Chantage »
Le 19 juin, le transit a ainsi été interrompu plusieurs jours en réponse au sommet de Saint-Pétersbourg : M. Tokaïev y avait affirmé, à la face de Poutine, qu’il ne reconnaissait pas les républiques séparatistes de Louhansk et Donetsk. Le 6 juillet, nouvelle coupure : deux jours plus tôt, le Kazakhstan s’était dit prêt à envoyer davantage de pétrole à l’UE. « A certains égards, cela rappelle le chantage imposé à l’Europe autour des gazoducs Nord Stream », remarque Lucas Anceschi, spécialiste de l’Eurasie à l’université de Glasgow (Ecosse).
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