Dans les océans, d’étranges structures verticales se forment parfois, appelées escaliers thermohalins. Tout y est question de gradients de salinité et de température qui se stabilisent. Ces escaliers jouent un rôle primordial dans la circulation océanique profonde. Une étude vient juste de rendre compte du mécanisme qui en est à l’origine.
Les différences de salinitésalinité et de température dans les océans sont primordiales : elles sont à l’origine de la circulation océanique profonde, lorsque les eaux moins denses sont emportées dans les profondeurs, et les eaux plus légères remontées vers la surface. Mais un phénomène lié à ces gradientsgradients a été mis au jour en 1960 et était demeuré en partie inexpliqué jusqu’ici : les escaliersescaliers thermohalins, repérables dans différentes régions du monde. Leur origine diffère cependant lorsque l’on se trouve plus près des pôles ou de l’équateuréquateur.
L’explication près des pôles vient tout juste d’arriver dans l’étude de Physical Review Fluids : ces structures à petite échelle se forment spontanément lorsque l’intensité des turbulencesturbulences atteint une valeur suffisamment faible, évaluée par un nombre adimensionnel, le nombre de Reynolds. Dans ce cas, des massesmasses d’eau chaude et salée provenant de l’Atlantique plongent sous les eaux froides et plus douces originaires de l’ArctiqueArctique et peuvent y rester pendant plusieurs années sur des kilomètres ! « L’océan est généralement considéré comme un environnement hautement chaotique et turbulent, il est donc frappant de voir des couches de sel et de chaleurchaleur aussi fortement définies en son sein », s’étonne dans un communiqué Yuchen Ma, premier auteur de l’étude.
La fonte des glaciers de l’Arctique menace la circulation d’eau profonde
Si l’explication de ces escaliers est la bienvenue, reste la question de leur influence sur la fontefonte de l’Arctique qui n’est pour l’instant pas prise en compte. Et inversement, une plus grande quantité d’eau de fonte influe sur ces structures. « En cette ère de réchauffement climatique, il est bien connu que la perte de la couverture de glace de mer de l’océan Arctique est un aspect critique de ce processus mondial, s’inquiète le professeur d’université W. Richard Peltier, coauteur de l’étude. Bien que la mesure dans laquelle la formation d’escaliers contribue à cette perte n’ait pas encore été quantifiée, nous pouvons certainement dire que la composante océanique des modèles climatiques utilisés pour faire des projections du processus de réchauffement climatique n’est pas en mesure de résoudre le processus de formation d’escaliers ».
La stratification de l’océan Arctique impactée par le réchauffement climatique
Article de Morgane GillardMorgane Gillard publié le 04 septembre 2021
Le climatclimat de l’Arctique change rapidement. En témoigne le déclin dramatique de la calotte polairecalotte polaire depuis 40 ans. Les modèles climatiques suggèrent d’ailleurs que l’océan Arctique pourrait être totalement libre de glace de façon saisonnière d’ici quelques décennies. Or, l’arrivée massive d’eau douce, en modifiant la stratificationstratification de l’océan, pourrait avoir des conséquences non négligeables sur la productivité biologique, impactant de fait toute la faune marine locale.
Les eaux de l’océan Arctique sont naturellement stratifiées en fonction de leur densité et de leur salinité : en surface se trouvent les eaux froides issues du pôle, peu salines et pauvres en nutrimentsnutriments, alors que les niveaux plus profonds sont caractérisés par des eaux chaudes provenant des océans Atlantique et Pacifique, salines et riches en éléments nutritifs. La zone de transition entre la couche supérieure d’eau douce et la couche inférieure d’eau salée, plus dense, est donc définie par un fort gradient de salinité : on parle d’halocline.
Lien entre stratification, quantité de nutriments et productivité biologique
Cette stratification en deux niveaux relativement bien isolés l’un de l’autre a un impact important sur la circulation océanique, la couverture glaciaire, mais également sur la productivité biologique. Actuellement, on observe un affaiblissement de cette stratification dans le bassin eurasien (partie est de l’océan Arctique) et à l’inverse un renforcement de la stratification dans le bassin amérasien (partie ouest). La façon dont ces changements vont se poursuivre ou se modifier dans le futur est cependant encore peu contrainte.
Pour comprendre cette évolution et ses potentielles conséquences, des chercheurs américains de Princeton University ont eu l’idée d’observer les évènements climatiques du passé et leurs impacts sur la distribution des nutriments dans l’océan Arctique. Le degré de consommation des nutriments riches en azoteazote présents dans les eaux de surface peut en effet être utilisé comme marqueur de la stratification océanique. L’azote représente le facteur limitant de la productivité biologique et notamment de phytoplancton : une consommation incomplète de l’azote indique que l’apport en nutriments est suffisant par rapport à la productivité biologique et reflète une faible stratification de l’océan, qui permet le flux des éléments nutritifs vers les eaux de surface. À l’inverse, une consommation complète de l’azote est le signe d’un déficit en éléments nutritifs, en lien avec une forte stratification océanique qui bloque les nutriments dans les niveaux profonds. Cette architecture des eaux est donc généralement associée à une faible productivité biologique, qui a lieu majoritairement en surface.
Évolution de la stratification de l’océan Arctique depuis 35.000 ans
Les résultats de l’étude, publiés dans Nature Geoscience, montrent que durant le dernier âge glaciaire, les eaux arctiques étaient faiblement stratifiées, avec un fort apport en nutriments en provenance de l’Atlantique.
La période de réchauffement climatique qui a suivi, débutant il y a 15.000 ans, a été quant à elle marquée par une fonte des glaces et donc un apport en eau douce important, résultant dans un renforcement général de la stratification de l’océan. De plus, l’inondationinondation du détroit de Béring il y a 11.000 ans, a permis la connexion des océans Arctique et Pacifique. Cet événement a entraîné un important flux de nutriments et d’eau douce en provenance du Pacifique. Les sédiments analysés par les scientifiques montrent que cette période est caractérisée par une consommation complète des nitrates dans la partie ouest de l’Arctique, signe d’une forte stratification des eaux dans cette région. L’arrivée continue d’eaux peu salées par le détroit de Béring permet d’expliquer le maintien actuel d’une forte stratification dans cette partie de l’océan Arctique.
Dans l’Arctique central, la forte stratification observée de 11.000 à 5.000 ans serait plutôt liée à l’arrivée locale et massive d’eau douce associée à la fonte des glaces durant cette période de fort réchauffement climatique, connue sous le nom d’optimum climatique de l’HolocèneHolocène. Cette période est caractérisée par des températures plus élevées qu’actuellement dans la région Arctique.
La diminution de l’ensoleillement à partir de 5.000 ans a ensuite provoqué une baisse rapide de la consommation de nitrate dans la partie centrale, indiquant un affaiblissement de la stratification dans cette région, qui est toujours d’actualité.
Vers un renforcement de la stratification dans l’océan Arctique central ?
L’étude de la période de l’optimum climatique de l’Holocène montre l’impact significatif que peut avoir la fonte des glaces sur la stratification de l’océan Arctique. La comparaison de cette période avec la situation actuelle suggère que le réchauffement climatique que nous connaissons va probablement induire un renforcement de la stratification dans l’océan Arctique central.
Cette évolution n’est pas anodine puisqu’elle impacte directement le flux de nutriments vers les eaux de surface. Cette dynamique risque ainsi de réduire drastiquement la productivité de phytoplancton dans ces eaux.