Des heurts ont éclaté, samedi 29 octobre, lors du rassemblement organisé à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, pour tenter de bloquer le chantier d’une réserve d’eau. Selon un dernier bilan, sept gendarmes ont été blessés et six manifestants interpellés, d’après une source proche du dispositif de sécurité mis en place, qui dénombre entre 3 000 et 4 000 opposants sur place. Un peu plus tôt dans l’après-midi, la préfète, Emmanuelle Dubée, avait fait état de cinq gendarmes et deux manifestants blessés, ainsi que de quatre interpellations.
« Nous constatons face aux forces de l’ordre de violents tirs de mortier, des cocktails Molotov et des jets de projectiles divers », a précisé Mme Dubée, qui avait publié en début de semaine des arrêtés interdisant toute manifestation dans la zone. Elle a dénoncé une « manifestation violente qui a pour but de commettre des infractions ».
Julien Le Guet, un porte-parole du collectif Bassines non merci, en lutte contre cet « accaparement de l’eau » destiné à l’« agro-industrie », portait un bandage sur la tête et saignait du nez après avoir été brièvement interpellé, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP). Un manifestant a eu le nez cassé par l’explosion d’une grenade de désencerclement, selon un autre journaliste de l’AFP. Un autre manifestant a été vu avec une fracture ouverte à une jambe. Des grenades lacrymogènes ont été lancées et des élus arborant leur écharpe tricolore molestés, notamment la députée écologiste Lisa Belluco.
Vers 14 heures, les manifestants, répartis en trois cortèges, se sont très vite heurtés aux mille cinq cents gendarmes déployés pour protéger le chantier. Leur objectif : « Réussir à atteindre la bassine, à enlever toutes les grilles qui protègent le chantier, à reboucher le début du trou, empêcher la reprise des travaux », selon un tract diffusé sur place. Peu après 15 heures, certains manifestants ont réussi à forcer des grilles protégeant le chantier puis à entrer brièvement à l’intérieur, avant d’être repoussés par les forces de l’ordre.
Après un face-à-face tendu d’environ une heure au bord de la réserve, les manifestants ont fait demi-tour vers le champ prêté par un paysan pour qu’ils puissent y installer un campement. En fin d’après-midi, les gendarmes continuaient à encercler le chantier.
« Appropriation de l’eau »
« Sainte-Soline, c’est 720 000 mètres cubes d’eau sur plus de dix hectares, dix-huit kilomètres de tuyaux pour des agriculteurs, dont pas un n’a renoncé aux pesticides. On ne veut pas que ça se fasse ici, on ne veut pas que ça se fasse ailleurs », a affirmé Mélissa Gingreau, une autre porte-parole du collectif Bassines non merci. « Je ne supporte pas cette appropriation de l’eau pour une petite partie d’agriculteurs », a pour sa part déclaré Odile, arborant un badge « No Basaran », le slogan de la manifestation.
Avant de s’élancer, les manifestants se sont rassemblés dans un champ prêté par un paysan, constellé d’un chapiteau jaune portant l’inscription « Maïs pour tous, justice nulle part ». Dans la foule, des jeunes, des familles, de nombreux retraités. Beaucoup portent une salopette ou un pantalon de chantier, quelques centaines sont masqués ou cagoulés.
La préfète des Deux-Sèvres avait dit, samedi matin, redouter « une manifestation violente » et rappelé qu’elle était « interdite », en raison des dégradations et heurts ayant marqué un précédent rassemblement, en mars. « Nous ne laisserons pas un cortège revendicatif, ou des groupes d’individus, s’approcher du chantier de la réserve de substitution », avait-elle ajouté.
L’équivalent de 260 piscines olympiques pour irriguer en été
Les réserves de substitution sont des cratères à ciel ouvert, recouverts d’une bâche en plastique et remplis grâce au pompage de l’eau des nappes phréatiques superficielles l’hiver. Ils peuvent stocker jusqu’à 650 000 mètres cubes d’eau (soit deux cent soixante piscines olympiques) pour irriguer, l’été, quand les précipitations se font plus rares.
Celle de Sainte-Soline est la deuxième d’un projet de seize élaboré par un groupement de quatre cents agriculteurs réunis dans la Coop de l’eau, pour « baisser de 70 % les prélèvements en été », dans cette région encore soumise à des restrictions d’irrigation après une sécheresse estivale hors norme.
« On est le 29 octobre, c’est sec partout, c’est aberrant d’accaparer toute l’eau disponible pour quelques cultivateurs de maïs », a dénoncé l’eurodéputé Yannick Jadot, présent sur place comme d’autres élus écologistes, dont la députée Sandrine Rousseau.
Le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est dit d’accord avec les opposants sur « la nécessité qu’on diminue collectivement (…) nos usages d’eau », mais a souligné sur France inter que le « projet n’avait pas de conséquences négatives pour les nappes » phréatiques, selon un rapport récent.
Un plan signé il y a quatre ans
Selon cette étude du Bureau de recherches géologiques et minières, le projet pourrait, par rapport à la période 2000-2011, augmenter « de 5 % à 6 % » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1 % l’hiver, sans prendre en compte l’évaporation potentielle des futures réserves ni la menace de sécheresses récurrentes liée au réchauffement climatique.
M. Béchu a rappelé que le « plan signé par tout le monde il y a quatre ans » après une longue concertation entre agriculteurs, élus, autorités et associations conditionnait l’accès à l’eau à des changements de pratiques (réduction des pesticides, plantation de haies etc.). Mais aucun des dix agriculteurs utilisant la première retenue « n’a souscrit de réduction de pesticides », selon Vincent Bretagnolle, membre du comité scientifique et technique de suivi du projet, et, depuis la signature, plusieurs associations se sont retirées du protocole.
Denis Mousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) dans les Deux-Sèvres, qui défend ce projet de stockage, a rappelé jeudi à l’Agence France-Presse « la forte inquiétude » des agriculteurs locaux à propos de ce rassemblement. « On ne lutte pas contre les agriculteurs, on lutte contre les outils de l’agro-industrie qui fait disparaître les paysans », a déclaré, de son côté, Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne : « En trente ans, le nombre de paysans a été divisé par trois. »