La Terre est née par accrétion de corps célestes il y a environ 4,5 milliards d’années, ce qui a provoqué un intense dégagement de chaleur, notamment lors de la naissance de la Lune via un impact géant. Notre Planète bleue devait alors être recouverte par un océan global de magma en convection. De nouvelles simulations modifient l’idée que l’on se faisait de la genèse de l’atmosphère de la Terre à partir de cet océan par dégazage et par la même occasion aussi de celles d’autres exoplanètes rocheuses.
On peut se faire une idée des théories de l’origine de la Terre, de la Lune et du Système solaire il y a environ un siècle en consultant les multiples éditions du traité consacré à notre Planète bleue par une légende des mathématiques et de la géophysique, le Britannique Harold Jeffreys. Bien que les savants de l’époque disposaient déjà de techniques de calculs numériques, ils ne pouvaient aller bien loin pour construire des cosmogonies et des théories géophysiques et géologiques avec ces outils. De fait, ils s’appuyaient surtout sur les moyens analytiques de la physique mathématique de leur époque, sans parler de rares données de la géologie, de l’astronomie et de la géochimie débutante.
Nous avons considérablement progressé à cet égard et nos ordinateurs nous permettent de faire des simulations aussi bien de la formation des planètes du Système solaire que de la convection interne du manteau de la Terre.
Dans la quête de ses origines cosmiques, la noosphère veut connaître aussi bien l’origine de l’eau des océans de la Terre que de son atmosphère. Sur ce dernier point, on a pensé un moment qu’au début de son histoire l’atmosphère de la Terre devait ressembler à celle de Jupiter et de Saturne, c’est-à-dire être le produit de la capture du gaz de la nébuleuse protosolaire, c’est-à-dire essentiellement de l’hydrogène, de l’hélium avec un peu de méthane et d’ammoniac.
Mais des arguments issus de la cosmochimie ont finalement fait pencher la balance vers une atmosphère primitive composée essentiellement de gaz carboniques, c’est-à-dire du monoxyde et du dioxyde de carbone, avec de l’azote. Ce qui au passage a conduit à modifier un peu le scénario de l’origine de la vie basé sur la première expérience de Miller.
Des océans de magma décrits par la convection de Rayleigh-Bénard
On a avancé également et finalement que l’atmosphère primitive de la Terre ne résultait pas d’une capture mais bien du dégazage du manteau de la Terre, ou plus précisément de l’océan magmatique global profond probablement d’environ 1 000 kilomètres produit par la libération de la chaleur d’accrétion – chaleur d’accrétion issue de la conversion de l’énergie gravitationnelle des impacts des corps célestes sur la proto-Terre. L’impact le plus important ayant certainement été celui à l’origine de la Lune, via une petite planète de la taille de Mars, Théia.
Mais aujourd’hui, disposant donc des formidables moyens de calculs des ordinateurs modernes dont ne disposaient pas Jeffreys et ses contemporains, une équipe de géophysiciens de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) vient de renouveler le modèle de l’origine de l’atmosphère de la Terre à nouveau.
Dans un article publié dans la célèbre revue Icarus, les chercheurs avancent que la formation de cette atmosphère par dégazage à partir d’un océan magmatique global serait moins efficace qu’anticipée. Une conclusion qui peut s’étendre à d’autres planètes telluriques, y compris à des exoplanètes dont on se prépare à étudier les atmosphères avec le télescope spatial James-Webb.
Un exemple de simulation de mouvement convectif du type modélisé depuis plus d’un siècle analytiquement et connu sous le nom de convection de Rayleigh–Bénard. © turbulenceteam
Comme l’explique un communiqué de l’IPGP, on pensait jusque-là que les éléments volatils dissous dans des océans de magma planétaires, notamment de l’eau, étaient très rapidement dégazés en des mouvements convectifs de type Rayleigh-Benard très rapides brassant ces océans et amenant donc le magma des profondeurs vers la surface. La raison de l’importance de ces mouvements devant être attribuée au fait que la viscosité du magma est d’autant plus faible que sa température est élevée. Or, on sait que la Terre de l’Hadéen il y a plus de 4 milliards d’années était plus chaude.
Mais force était de constater que l’hypothèse naturelle d’un dégazage très efficace de ces océans n’avait toutefois jamais été testée. C’est précisément ce que les géophysiciens ont fait avec des simulations numériques à haute résolution d’un fluide en convection vigoureuse.
Surprise, surprise ! Comme le révèle le communiqué de l’IPGP, ces simulations « montrent au contraire que le dégazage est loin d’être instantané et que malgré des vitesses convectives élevées, les espèces volatiles dissoutes se rapprochent de la surface sans nécessairement atteindre les profondeurs auxquelles le dégazage a lieu. Une fraction considérable de volatils peut ainsi rester dissoute dans l’océan de magma et se retrouver piégée dans les intérieurs planétaires à l’issue de cette phase évolutive ».
Des océans d’eau liquide à l’existence compromise
Cette conclusion a des conséquences qui vont beaucoup plus loin que de simplement en déduire que la formation des atmosphères planétaires des rocheuses serait bien moins efficace qu’on ne le pensait.
En effet, dans l’hypothèse où l’eau des océans de planètes habitables vient bien de leur dégazage primitif, les simulations montrent que, dans certains cas, le dégazage partiel des océans de magma produit des atmosphères sèches qui ne vont pas former de grands océans d’eau liquide en se refroidissant, ce qui bien sûr va affecter les probabilités de l’apparition de formes de vie comme celles que l’on connaît sur Terre et qui dépendent de l’existence de beaucoup d’eau liquide en surface.
On peur résumer la situation en citant la fin du communiqué de l’IPGP : « Les nouveaux scénarios envisagés par cette étude bouleversent notre compréhension de la mise en place des conditions nécessaires à l’émergence de la vie à la surface des planètes rocheuses et impactent la recherche et la caractérisation des environnements favorables à son développement dans les systèmes extra-solaires. »