Germain
Derrière les vidéos vues des millions de fois sur YouTube se cachent les monteurs, essentiels à la création. Mais la quête de publier toujours davantage peut mettre à mal la motivation de ces jeunes travailleurs.
10 octobre 2022. Deux jours viennent de s’écouler depuis le GP Explorer, cette course de Formule 4 organisée par Squeezie et rassemblant une vingtaine de créateurs de contenus. Amixem, youtubeur aux près de 8 millions d’abonnés et participant à la course, publie une nouvelle vidéo.
Intitulée “LA COURSE DE NOTRE VIE – GP Explorer Partie 2”, cette séquence d’une vingtaine de minutes retrace l’épopée vécue par le créateur et ses pairs le 8 octobre au Mans. Plus que le contenu de la vidéo, c’est surtout la vitesse à laquelle elle a été publiée qui a suscité la polémique.
En commentaire, sur YouTube, Amixem précise en effet que “les monteurs ne dorment plus depuis plusieurs jours pour sortir cette dinguerie”. Les propos, partagés sur Twitter par le journaliste Vincent Manilève, créent alors une polémique sur les conditions de travail des monteurs.
Concerné par les propos rapportés, Florent Bodenez, monteur d’Amixem, décide alors de mettre les choses au clair sur Twitter. “C’est la seule fois de l’année où on l’a fait […] L’événement étant tellement exceptionnel, on s’est dit ‘oui on va le faire ce défi 48h'” explique le monteur.
Florent Bodenez a également précisé que son équipe était composée de six personnes à temps plein, lui-même étant en CDI depuis plus de trois ans, et que tous travaillaient en horaires “appréciables”.
Un manque de reconnaissance persistant
Quelques jours avant l’épisode Amixem, c’est Michou qui subissait les critiques des internautes, mais surtout de son monteur. Le jeune vidéaste avait alors sorti une vidéo intitulée “JE DECOUVRE CE QUE MES PROCHES PENSENT DE MOI!” où Wekyt, son monteur, répondait à plusieurs questions concernant son quotidien avec Michou.
A la question “Est-ce que Michou t’a déjà énervé?”, Bogdan – le vrai nom de Wekyt – a répondu “oui, il m’a déjà énervé. Il ne se rend pas compte de la dose de travail. Il demande des trucs qui sont parfois infaisables avec le temps. Il me fait des réflexions qui ne sont pas agréables, des trucs qui ne sont pas méchants sur le coup mais qui peuvent blesser”.
Des remarques lancées sur un ton plutôt bienveillant mais qui reflètent tout de même un problème plus profond. Certains youtubeurs, même si cela devient de plus en plus rare, ont tendance à oublier de remercier ou créditer leurs monteurs. Un oubli qui n’est pas forcément volontaire mais qui résulte plutôt de la manière dont la plupart des créateurs de contenus se sont construits.
“L’essor de Youtube vient en partie du côté “fait maison”. La quasi-totalité des youtubeurs a débuté en montant soi-même ses vidéos. Donc pour certains il y a parfois cette volonté de faire croire qu’ils font encore tout, tout seul, et ils ne mettent même pas le monteur en description” explique Julien Valen, connu sous le pseudo de Hibz et monteur du youtuber Joyca, auprès de Tech&Co.
L’organisation, aspect clé d’une bonne relation
A raison d’une vidéo par semaine, voire davantage, une bonne organisation reste une variable essentielle pour que le travail soit réalisé de manière optimale. C’était notamment l’une des autres critiques faites par Wekyt envers Michou.
“Il doit s’améliorer sur comment s’organiser. Il envoie les vidéos à la chaîne en mode Uber Eats” expliquait notamment le monteur dans la vidéo.
Contactés, ni Wekyt, ni Florent Bodenez cité plus tôt, n’ont donné suite à nos sollicitations pour en savoir plus sur leur quotidien.
Certains ont toutefois réussi à s’adapter afin d’alléger la charge de travail de leurs monteurs. Hibz est en CDI depuis deux ans avec Joyca, 5 millions d’abonnés au compteur. Ce dernier sort une vidéo par semaine, chaque dimanche, tournée en général le lundi d’avant. Mais les plannings ont récemment été ajustés pour accorder plus de temps au montage.
“Nous sommes passés récemment à deux monteurs afin de pouvoir avoir deux semaines entières de montage. Cela permet de produire du contenu plus qualitatif. Avant, il y avait un peu de regret de ne pas mettre tous les petits détails dont j’avais envie dans les vidéos. On est dans une philosophie de se dire qu’on prend le temps de faire les choses bien et que si on a besoin de plus de temps, on reporte à plus tard” explique Hibz à Tech&Co.
Un problème bien plus profond
Mais pour certains, le problème est bien plus large qu’une simple histoire de reconnaissance et d’organisation. Il résiderait dans le milieu d’Internet en général et non pas uniquement dans la relation entre monteurs et youtubeurs.
“Il y a une problématique liée au monde d’Internet et de l’audiovisuel, avec d’un côté le meilleur des deux mondes et d’un autre le pire. On a ce côté start-up, avec énormément de turn-over, où on doit aller vite tout le temps. On est une ‘famille’ mais on essaie de t’arnaquer sur tes horaires, même si ça finit toujours par s’arranger. On a aussi beaucoup de personnes qui viennent dans ce milieu par passion et qui, au fur et à mesure, l’oublient” estime une source ayant travaillé avec plusieurs youtubeurs, interrogée par Tech&Co.
Certains monteurs affirment travailler entre 40 et 45 heures par semaine, voire 70 heures à de très rares occasions pour terminer un projet. “Ce n’est pas l’enfer, on n’est pas à la mine. C’est une aventure de vie, on est collé au projet. Quand quelqu’un fait un long métrage, il est collé au projet. Avec Youtube, on est collé à des gens, avec un projet qui est continu” déclare une autre source proche du milieu, qui a aussi souhaité rester anonyme.
Certains espèrent que le milieu évoluera, d’autres attendent que la vérité sorte, sur les conditions de travail et sur les dessous du monde d’Internet, parfois qualifié de “carnassier”. “Je ne peux pas dire du mal, personne ne peut dire du mal” entend-on. Preuve du mal être profond qui subsiste chez les youtubeurs et leur entourage.
