Ce premier vol d’Artemis est un vol de test sans équipage qui va servir à qualifier le lanceurlanceur Space Launch System (SLS) et le véhicule Orion avec, donc, plusieurs objectifs. Sans surprise, la NasaNasa voudra s’assurer du bon dimensionnement du bouclier thermique de la capsule qui sera l’unique protection des astronautesastronautes lors de leur retour sur Terre. Les fréquents allers-retours entre la Terre et la Station spatialeStation spatiale ne sont pas comparables avec un retour sur Terre d’une mission lunaire, la vitessevitesse de rentrée dans l’atmosphèreatmosphère d’une mission de retour de la LuneLune étant bien supérieure à une mission de retour d’orbiteorbite, onze kilomètres par seconde contre « seulement » sept kilomètres par seconde.
Le comportement en vol du module de service du véhicule Orion, fourni par l’Agence spatiale européenne et sous maîtrise d’œuvre d’Airbus, sera également très surveillé. La Nasa et l’Agence spatiale européenne (ESA) souhaitent le pousser dans ses retranchements et le tester à l’intérieur de son enveloppe de vol, de façon à voir dans quelles conditions et comment il peut fonctionner dans des configurations variées. Le système de propulsion de l‘European service module (ESM) sera donc au cœur des tests que la Nasa espère réaliser, et particulièrement scruté.
Comme le précise Philippe Deloo, chargé du projet du module de service (ESM) à l’ESA, c’est la « première fois que le système sera testé dans l’espace ». Certes, le module ESM a déjà « été testé au sol mais la représentativité des tests au sol n’est jamais de 100 % ». Là, on va pouvoir affiner nos modèles. « On va apprendre énormément avec ce vol », indique-t-il. Pour Airbus, ce vol d’essai doit lever plusieurs incertitudes de développement et qualifier le module pour les missions suivantes, dont Artemis III qui amènera un équipage de deux astronautes sur la Lune.
Une multitude de moteurs hérités de véhicules passés qui ont fait l’histoire
Comme le rappelle Antoine Alouani, ingénieur système de propulsion d’Orion chez Airbus, ce « système de propulsion ne compte pas moins de… 33 moteurs », dont un moteur principal, « qui est un de ceux de la navette spatiale qui a déjà volé et qui fournit une poussée de 26 kilonewtons », 8 moteurs auxiliaires, « dérivés de ceux du véhicule de transfert automatique (ATVATV) », et 24 moteurs de contrôle d’attitude. Il y a donc un intérêt évident à les tester en vol.
Bien que ce module soit basé sur l’héritage de l’ATV, l’architecture de l’ESM diffère sur de nombreux points. « Nous souhaitons vérifier si nos choix de design sont les bons car nous avons envisagé plusieurs autres configurations. »
“Pour Airbus, cette mission de test est bien plus importante qu’elle n’y paraît”
Mais si la Nasa souhaite s’assurer que le module de service pourra réaliser toutes les manœuvres prévues, « n’oubliez pas que sans ce module le véhicule Orion ne peut pas fonctionner », pour Airbus cette mission de test est bien plus importante qu’elle n’y paraît. Ce qui préoccupe le plus les équipes de propulsion d’Airbus, ce sont d’une part « cette multitude de moteurs différents qui assurent à Orion des performances de poussées et une versatilité inédites », mais également le fait que « ces moteurs utiliseront un réservoir commun à tous, ce qui représente une immense difficulté de développement ». À cette contrainte déjà forte, s’en ajoutent d’autres et non des moindres.
D’abord, il faut savoir que ces trois moteurs ont été développés à des périodes différentes, par des industriels différents, dans des pays différents, sur des systèmes différents, pour des missions différentes. Certes, ils utilisent le « même comburantcomburant et combustible » mais leur fonctionnement diffère. « Tous les types de moteur n’ont pas le même rapport de mélange et chacun a ses propres domaines de fonctionnement ». Le défi est d’arriver à « livrer le carburant à chacun des trois types de moteur avec les niveaux de débitdébit, de pressionpression, et de température requis ». Dans certaines configurations de vol, il est possible que 13 moteurs de deux ou trois types différents fonctionnent en même temps, « ce qui est une source majeure de la complexité de fonctionnement pour tout le système » !
Ce choix de trois moteurs différents a été imposé par la Nasa qui a souhaité « utiliser le moteur de la navette spatiale comme moteur principal en raison des niveaux de poussée et de fiabilité inédites que nécessiteront les missions Artemis, en particulier pour les manœuvres lunaires et trans-terrestres ».
L’état de l’art poussé à ses limites
Pour relier et faire fonctionner ces trois moteurs à partir de cet unique réservoir, Airbus a « réalisé un des sous-systèmes de propulsion le plus complexe jamais construit en Europe ». Résultat, un « enchevêtrement de tuyaux qui partent dans plusieurs directions, de diamètres et de formes géométriques différentes » ! Cette architecture en sous branche, qui peut s’apparenter à un mikado, est la solution trouvée par Airbus pour « amener et maintenir le carburant à chacun des moteurs aux niveaux de pression et débits requis ».
« Cela a été une des choses les plus difficiles à mettre au point. Une architecture unique, sévèrement contrainte par des exigences draconiennes, notamment de volume disponible, de massemasse, et de fiabilité. »
À cela s’ajoute qu’il faut tenir aussi compte que les moteurs en fonctionnement « vidangent le réservoir qui doit rester à la bonne pression ». Au fur et à mesure que le carburant liquideliquide est consommé, il est « nécessaire de le remplacer par du gaz et le maintenir à un niveau de pression quasi constant, tout au long des manœuvres propulsées d’Orion ». Pour cela, Airbus a choisi d’utiliser de « l‘hélium injecté à haute pression, depuis un réservoir pressurisé à 400 bars » ! Un réservoir avec un tel niveau de pression à bord d’un véhicule habité peut surprendre. Pour comprendre ce choix, il faut savoir que « l’encombrement est tellement réduit à l’intérieur de l’ESM », et que pour embarquer tout l’héliumhélium nécessaire à la mission dans un réservoir aux dimensions contraintes pour tenir à l’intérieur du module, « nous n’avons pas eu d’autres choix que ces 400 bars » !
Cette conception unique et inédite a été « réalisée dans un environnement programmatique très contraint ». Comme dans tous les projets, l’ingénierie n’a pas eu les mains libres pour développer et qualifier certains éléments de l’ESM comme elle le souhaitait. Il a fallu tenir compte des conditions programmatiques portées par l’ESA et la Nasa qui « nous ont amenés à prendre certaines décisions qui n’étaient peut-être pas forcément nos premiers choix en tant qu’ingénieur ». Il y a donc une « certaine dose résiduelle d’incertitude pour quelques équipements » qui sera levée avec le vol, ce qui est intrinsèque à tout programme spatial, et en particulier dans ce type de missions où les limites sont repoussées.
Le saviez-vous ?
À notre connaissance, il n’y a qu’une seule entreprise capable de produire ce genre de réservoirs en composite dans le monde et elle est francaise. Il s’agit du site ArianeGroup Aquitaine, à Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux. Pour la petite histoire ils sont dérivés de ceux d’Ariane 5 pour pressuriser l’étage principal cryogénique (EPC) et l’étage supérieur à propulsion stockable (EPS).
« Mais je reste optimiste et je suis confiant sur le comportement en vol de notre module. » Comme très souvent dans le spatial, les « marges sont prévues dès la phase de conception pour parer aux éventualités ». Il y a certes un niveau de risque propre à tout nouveau véhicule qui vole pour la première fois mais « si je m’en tiens à nos études, nos analyses de risques et nos tests, il est difficile de prédire rationnellement que cela ne va pas fonctionner ».
Un risque au décollage plutôt surprenant !
Il y a encore un autre point dur qu’il nous paraît intéressant d’aborder car « s’il venait à dysfonctionner quelques secondes après le décollage du lanceur », la mission pourrait être compromise et « provoquerait l’extraction d’urgence du véhicule d’Orion et son éloignement rapide du lanceur sans qu’il n’y ait aucun risque d’explosion du lanceur ou du module de service » !
Pour d’évidentes questions de sécurité, le « carburant est enfermé à l’intérieur de son réservoir avant le lancement ». Les trois moteurs de l’ESM ne sont donc pas alimentés. « Ceci pour éviter tout risque de fuite au sol qui pourrait être mortelle ! » Il faut savoir qu’une simple goutte de ce carburant peut tuer un humain et respirer ses vapeurs suffit à provoquer des cancerscancers dans des délais très courts.
Pour empêcher le carburant une fois rempli de s’écouler à l’extérieur, « une série de trois vannes successives le retiennent dans le réservoir et empêchent une fuite par les moteurs, notamment au sol ». Cette règle des trois barrières mécaniques entre le réservoir et chaque moteur est une contrainte de sécurité fondamentale pour la conception du système de propulsion. Pour le bon fonctionnement du module ESM, il faut amener et conditionner le carburant aux entrées des moteurs. Pour cela, ces vannes devront toutes « s’ouvrir en seulement 40 secondes dans une séquence bien précise et libérer le carburant aux niveaux de pression requis ». Si cette manœuvre n’est pas correctement réalisée, ou seulement partiellement, « la mission ne se fera pas car il ne sera pas possible d’allumer les moteurs ». Dans le cas d’une mission habitée, la seule solution sera « d’éjecter en urgence le véhicule Orion car sans moteur le véhicule ne sera pas pilotable et pourra aller nulle part ». Cette séquence va se jouer en seulement 40 secondes, deux minutes après le décollage du lanceur SLS.
En conclusion, « on est raisonnablement confiant, je dirais. J’ai tout de même une petite appréhension pour le système de pressurisation des réservoirs. Mais Artemis I est le seul moyen de savoir si on a bien travaillé, alors il n’est plus temps de tergiverser, il faut se lancer ». Ce premier vol de test va montrer la performance réelle du module, voir ses marges de sorte que « l’analyse des données puisse nous permettre de tester nos différents modèles, de vérifier s’ils sont suffisamment robustes en matièrematière d’architecture de design, et in fine de localiser d’éventuels défauts de conception à corriger ».