Le regard médiatique et politique s’est récemment porté sur les inégalités sociales face à la question environnementale, en se fixant sur les usages des jets privés. Pourtant, plusieurs travaux sociologiques ont souligné que ce sont sur les classes populaires que les injonctions à écologiser les modes de vie pèsent le plus lourd. Depuis une dizaine d’années, les sciences sociales ont ainsi montré que les classes populaires sont à la fois celles qui contribuent le moins aux pollutions, qui en souffrent le plus et qui sont les plus distantes des discours politiques sur l’écologie. Plus grande distance aux discours vaut-elle indifférence ? Dans un récent article publié en 2021 dans Sociétés contemporaines, Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier s’appuient sur ces résultats désormais fermement établis pour étudier finement la consistance des liens que les classes populaires entretiennent avec les enjeux écologiques.
Les sociologues croisent deux enquêtes portant sur la réception par des membres des classes populaires des injonctions à la conversion écologique de leurs pratiques quotidiennes – mot d’ordre principal des politiques publiques de protection de l’environnement depuis de nombreuses années. Ils soulignent la centralité du réalisme populaire face à cette tentative de moralisation de leur conduite. Ils déclarent volontiers mettre à distance des idées abstraites, pour, comme l’écrivait Richard Hoggart au sujet des classes populaires anglaises des années 1950, « ne pas oublier “le monde des réalités”, celui du travail et des dettes ».
Dans le cas de la question environnementale, cela se traduit par une conscience souvent aiguë des enjeux, mais toujours en les réinscrivant dans les aspects très concrets du quotidien marqués par la contrainte matérielle.
« Un sentiment d’impuissance teinté de fatalisme »
Ce réalisme est à la fois pratique et moral. Pratique, car écologiser ses pratiques quotidiennes apparaît comme une charge, à la fois organisationnelle et financière, souvent incompatible avec un quotidien déjà très contraint. Cela ne veut pas pour autant dire que les enquêtés n’auraient aucune pratique écologiquement responsable.
Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier insistent cependant sur le fait que leurs pratiques en elles-mêmes économes en énergie et en ressources naturelles (covoiturage, usage stratégique des heures creuses pour l’électricité, réparation, recyclage, achat d’occasion) sont justifiées par la nécessité matérielle, et non par des formes de valorisation écologique – les politiques publiques de responsabilisation environnementale ne valorisant pas non plus ces pratiques avant tout populaires.
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