Le décollage réussi de la fusée de la Nasa vers la Lune marque la reprise de l’exploration spatiale avant la conquête de Mars, objectif clé des agences spatiales.
Un demi-siècle plus tard. Cinquante ans après avoir une dernière fois foulé le sol lunaire, les Américains entreprennent avec Artémis 1 – qui a enfin décollé ce mercredi – leur grand retour vers le seul satellite naturel de la Terre. Prochaine étape: l’installation de la station Gateway, placée en orbite lunaire, et dont le lancement est prévu pour 2024.
Une mission qui n’a rien d’un pas en arrière pour l’Homme, bien au contraire. “Enfin l’exploration redevient intéressante”, estime Olivier Mousis. L’astrophysicien et directeur de l’Institut Origines salue un “revival” – une renaissance – après “plusieurs années de perdues a minima”.
La Lune, une “répétition” avant Mars
La Lune, et plus précisément son pôle sud, intéresse la Nasa, l’Agence spatiale européenne (ESA) et la CNSA (l’administration spatiale chinoise, NDLR) pour une raison principale: la présence de gisements de glace d’eau, une ressource précieuse. Le rover Viper de la Nasa, qui partira pour la Lune à la fin de l’année 2024, doit notamment permettre de cartographier, de forer et d’étudier l’eau sur le pôle sud.
Difficile de savoir si cette eau lunaire sera potable ou non pour les astronautes, mais celle-ci, difficile à apporter depuis la Terre, pourrait potentiellement être divisée en hydrogène et en oxygène. Deux éléments chimiques qui pourraient permettre de produire des carburants spatiaux sur la Lune. Pour en faire une “station service” entre la Terre et Mars?
“On peut imaginer un vaisseau spatial passant par Gateway pour faire le plein d’eau voire de carburants de fusée avant de partir pour Mars”, déclare à BFMTV.com l’astrophysicien Francis Rocard, qui reste tout de même très prudent sur cette hypothèse.
“L’enjeu des années 2030 c’est la Lune”, rappelle toutefois à BFMTV.com Didier Schmitt, directeur de la stratégie de l’exploration humaine et robotique de l’ESA, “on veut un Européen sur la Lune avant 2030”. L’Agence spatiale européenne, en plus de sa collaboration avec les Américains pour Gateway, développe notamment un alunisseur (atterrisseur lunaire) qui pourra aider les futures missions Artémis sur le pôle sud lunaire.
Francis Rocard estime malgré tout que ce retour sur la Lune des Américains vise à la préparation de l’exploration humaine sur Mars. “Cela va occuper les agences jusqu’au milieu du siècle, et donc une trentaine d’années encore”, soutient le responsable du programme d’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes).
“L’intérêt c’est de survivre dans un environnement hostile”, abonde Olivier Mousis qui voit ce retour sur le sol lunaire comme “une répétition des conditions que les astronautes trouveront sur d’autres planètes”.
Le calendrier de la Nasa vise désormais 2025 pour un retour sur la surface de la Lune, soit trois ans avant la programmation initiale. Ce coup d’accélérateur est en grande partie permis grâce à l’arrivée de sociétés privées telles que SpaceX, qui ont drastiquement réduit les coûts de lancement. Et il arrive à point nommé pour l’agence spatiale américaine.
Car si la Russie est, pour Francis Rocard, “sur le déclin” en matière de mission spatiale, un nouveau rival a depuis pris sa place. La Chine a en effet fait une entrée fracassante dans la conquête de l’espace depuis les années 2000 et multiplié les missions réussies sur la Lune, allant même jusqu’à déposer un rover sur sa face cachée.
“Les Chinois ont relancé la deuxième course vers l’espace, et cela va durer très longtemps”, juge Didier Schmitt.
Pour Olivier Mousis, c’est tout simplement une course-contre-la montre qui se joue entre les deux grandes puissances. “Le premier qui arrivera sur la Lune arrivera sur Mars”, estime-t-il. “La planète rouge est dans le collimateur.” Dernier exploit en date pour la Chine: avoir réussi à poser son robot “Zhurong” en 2021 sur le sol martien, dévoilant par la même occasion des clichés inédits de la planète.
De l’intérêt des autres planètes et des autres lunes
Olivier Mousis appelle néanmoins à ne pas oublier les missions d’exploration robotique “qui nous ont donné de très très beaux résultats”.
“Il faudrait que l’ESA contribue à la grande mission Nasa vers Uranus et Neptune, les géantes glacées, par le biais de l’emport d’une sonde de rentrée atmosphérique”, plaide l’universitaire.
L’objectif serait ici de connaître davantage ces planètes qui n’ont jusqu’ici été visitées qu’une seule fois par la sonde Voyager 2, toujours en activité depuis son lancement en 1977. Celle-ci n’a toutefois atteint Uranus qu’en 1986 et Neptune en 1989. Un voyage long et par conséquent très coûteux: la nouvelle mission envisagée par la Nasa pour Uranus prévue pour 2031 coûterait entre 4 et 10 milliards de dollars. Mais elle est loin d’être dénuée d’intérêt scientifique.
“Comprendre comment s’est formé le système solaire, cela passe par comprendre la composition des planètes”, explique Olivier Mousis.
Une autre planète, plus proche de la notre, a su piquer la curiosité des agences spatiales: Jupiter. L’ESA doit lancer en été 2023 une sonde spatiale censée survoler ses lunes tandis que la Nasa va se concentrer plus spécifiquement sur Europe à compter de fin 2024 pour étudier l’océan d’eau se trouvant sous sa coquille glacée.
Ce projet américain, rendu possible par la fusée Falcon Heavy de SpaceX, pose déjà de nombreux défis selon Francis Rocard, la lune de Jupiter étant “extrêmement radioactive”. “Il n’est pas exclu d’aller sur des lunes comme Europe (lune de Jupiter, NDLR), mais il faut trouver des moyens d’y aller et comment résister aux radiations. Aujourd’hui ça n’est pas le cas”, indique Didier Schmitt.
Des ambitions rattrapées par la réalité
La fin annoncée de la station spatiale internationale et le contexte géopolitique sur Terre a par ailleurs obligé chaque agence à revoir leurs coopérations internationales dans l’espace. Ainsi le projet de rover ExoMars, initialement lancé par l’ESA avec les Russes, se fera désormais sans eux et sans leurs éléments en raison de la guerre en Ukraine: “le divorce est prononcé”, affirme Didier Schmitt. Une situation qui ne fera que retarder davantage la mission sur la planète rouge qui reste à ce jour le principal objectif à long terme des agences spatiales.
“Au-delà de Mars il n’y a pas de réflexion, ni côté Nasa ni ailleurs, pour ce qui est des missions habitées”, abonde Francis Rocard pour BFMTV.com. “C’est trop lointain.”
Aujourd’hui les Européens, qui ne disposent pas du même budget que celui des Américains en matière d’exploration, orientent leurs missions “vers les endroits où l’Homme pourra aller un jour”, avec ou sans l’aide d’autres agences. “Suite à la demande du président Macron lors du Sommet Espace du 16 février a Toulouse, nous démarrons les discussions pour des vols habités européens en partant de Kourou”, indique Didier Schmitt à BFMTV.com. Un projet mené dans un souci de “non-dépendance européenne” pour les futurs vols habités.
“Il y a aussi l’idée d’envoyer des missions habitées vers des astéroïdes géocroiseurs (proches de la Terre, NDLR) avec la perspective d’y exploiter les ressources comme l’eau”, évoque Francis Rocard, ce qui constituerait une nouvelle étape dans l’exploration spatiale, même si aucun calendrier précis n’est connu.
Olivier Mousis le conçoit: il est difficile de se projeter sur l’après-Mars en matière d’exploration humaine. “Je ne travaille pas pour moi mais pour mes successeurs”, commente-t-il. Un regard que partage Didier Schmitt qui rappelle que l’exploration spatiale ne s’arrêtera pas sur la planète rouge: “Il faut toujours laisser des défis aux générations futures”.