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La nature de la mystérieuse source d’ondes gravitationnelles GW190521 remise en cause



Il y avait plusieurs anomalies dans le signal de la source d’ondes gravitationnelles détectée sur Terre le 21 mai 2019 par Ligo et Virgo, sans parler des masses étonnamment élevées des trous noirs impliqués pour produire GW190521. Une nouvelle analyse du signal suggère fortement maintenant que l’on n’avait pas affaire à une collision de trou noir habituelle, soutenant du même coup ce que l’on appelle « le scénario de la croissance hiérarchique des trous noirs ».

On a un peu de peine à le croire mais cela fait plus de sept ans maintenant que l’on a mis en évidence GW150914, la première source d’ondes gravitationnelles détectée directement sur Terre. C’est le début d’un accomplissement aussi bien théorique qu’expérimental pour de nombreux chercheurs et ingénieurs qui ont travaillé à cette découverte et à l’ouverture d’une nouvelle fenêtre d’observation en astronomie, tel le prix Nobel Kip Thorne ou les Français Alain Brillet et Thibault Damour. Mais il faudrait citer une longue liste d’autres noms comme ceux de la Française Nathalie Deruelle, de l’Italienne Alessandra Buonanno ou encore du Russe Vladimir Braginsky. Comme on s’y attendait, cette source – et beaucoup de celles découvertes par la suite – est le produit de la collision de deux trous noirs formant initialement un système binaire et qui sont amenés à fusionner parce qu’ils perdaient de l’énergie sur leur orbite sous forme d’ondes gravitationnelles.

Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS et Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parlent des trous noirs et en particulier des trous noirs supermassifs dans les galaxies et qui sont derrière les AGN. © Fondation Hugot du Collège de France

Des trous noirs stellaires… pas stellaires ?

Rapidement, les astrophysiciens sont étonnés par les masses des trous noirs déterminées en analysant les ondes passant à travers les détecteurs Ligo, Virgo et depuis quelque temps Kagra. Ces masses sont élevées, au moins plusieurs dizaines de masses solaires, et cela ne colle guère avec les théories expliquant la formation des trous noirs stellaires par effondrement d’étoiles explosant en supernovae et expulsant du même coup de nombreuses masses solaires. De fait, les candidats au titre de trou noir, que l’on a mis en évidence par les émissions de rayons X des disques de matière accrétée en provenance d’une étoile compagne dans un système binaire, ont très majoritairement des masses en dessous de 10 à 15 masses solaires.

Des scénarios vont être proposés sur le mode d’une croissance hiérarchique, c’est-à-dire impliquant les sources détectées avec des masses de trous noirs élevées qui sont le fait de captures de trous noirs résultant eux-mêmes de la fusion de trous noirs vagabonds dans des régions denses en étoiles. Trous noirs vagabonds provenant bien, eux, de l’effondrement d’étoiles dans un système binaire.

Pour rendre compte de la fréquence des observations, il fallait donc considérer des régions où les distances entre les astres sont faibles et donc avec des probabilités de capture directe élevées, par exemple pour des étoiles au cœur d’amas ouverts ou encore d’amas globulaires. Une autre possibilité fait, elle, intervenir la formation de trous noirs dans les disques d’accrétion des trous noirs supermassifs – trous noirs qui ont alors là aussi des chances non négligeables d’être capturés pour plusieurs raisons dont parlait d’ailleurs Futura dans un précédent article au sujet de la source GW190521 découverte le 21 mai 2019.

De GW190521, il est à nouveau question aujourd’hui dans un article publié dans Nature, dont une version en accès libre existe sur arXiv.

Toutes ces considérations ont conduit une équipe de chercheurs de l’Université et de la section de Turin de l’Institut national de physique nucléaire (INFN), en collaboration avec des collègues de l’Université Friedrich Schiller (FSU) à Iéna (Allemagne), à se pencher à nouveau sur l’analyse du signal, ce qui les a conduits à la publication dans Nature.

« GW190521 a été initialement analysé comme la fusion de deux trous noirs lourds en rotation rapide se rapprochant le long d’orbites presque circulaires mais ses particularités nous ont amenés à proposer d’autres interprétations possibles », explique ainsi la physicienne Rossella Gamba, doctorante à l’université de Jena, autrice principale de l’étude et membre de la collaboration Virgo s’occupant du détecteur européen d’ondes gravitationnelles.

« La forme et la brièveté – moins d’un dixième de seconde – du signal associé à l’événement nous conduisent à émettre l’hypothèse d’une fusion instantanée entre deux trous noirs, qui s’est produite en l’absence de phase en spirale », ajoute de son côté Alessandro Nagar, un autre théoricien des ondes gravitationnelles travaillant avec Virgo et chercheur à la division de INFN de Turin.

On peut décrire le signal d’une source d’ondes gravitationnelles avec deux trous noirs en combinant des calculs analytiques avec des calculs numériques sur ordinateurs. On obtient alors une immense bibliothèque de signaux déjà calculés avec des masses différentes pour des trous noirs en rotation eux aussi avec des moments cinétiques différents et sur des orbites initiales différentes que l’on peut alors comparer aux signaux détectés pour chercher le signal calculé qui s’en rapproche le plus, et donc en déduire bien des choses sur les trous noirs initiaux.

Le formalisme EOB, une clé de l’étude des collisions de trous noirs

Il apparaît maintenant que GW190521 est reproduit avec une probabilité seulement de 1/4300 par le précédent scénario en comparaison de celui où les orbites initiales ne sont pas circulaires, mais que l’un des trous noirs était sur une orbite hyperbolique avec capture et fusion directe. Cela favorise le scénario hiérarchique dont on avait déjà parlé et on peut donc très bien imaginer que les trous noirs de 85 et 65 fois la masse du Soleil environ s’étaient déjà formés par une suite de fusions multiples juste après capture dans le disque d’un trou noir supermassif, ou dans un amas dense d’étoiles, avant d’entrer eux-mêmes en collision dans ce genre d’environnement où ce phénomène est nettement plus probable à partir de trous noirs vagabonds.

Ce résultat a été obtenu grâce à des progrès significatifs et récents utilisant une technique analytique appelée l’approche effective à un corps ou formalisme EOB (effective-one-body, en anglais) et dont les pionniers ont été Thibault Damour et Alessandra Buonanno.

Le formalisme EOB est très technique, mais il répond aux difficultés de ce que l’on appelle le problème à deux corps aussi bien en physique newtonienne, où une solution complète et simple est connue, qu’en relativité générale où tout ce complique, notamment lorsque les champs de gravitation deviennent intenses et que la courbure de l’espace-temps devient importante, précisément quand deux trous noirs sont très proches et sur le point d’entrer en fusion bien sûr à ce moment-là aussi.

Le formalisme EOB montre que l’on peut simplifier le problème parce que les calculs d’émission d’ondes gravitationnelles sont équivalents à celui d’un problème plus simple où un seul corps est en mouvement dans le champ d’un autre en quelque sorte. Pour les curieux avec déjà un bagage conséquent en physique, il existe plusieurs vidéos de cours sur le sujet.

Des explications de Alessandra Buonanno sur le formalisme EOB. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Institut des Hautes Études Scientifiques (IHÉS)

 

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Written by Milo

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