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Plusieurs sites naturels français surfréquentés ont tiré la sonnette d’alarme. Dans les Calanques à Marseille et en Corse, l’accès aux touristes est désormais limité afin de lutter contre l’érosion. D’autres villages touristiques, qui s’estiment victimes du tourisme de masse, veulent repenser la gestion des flux de visiteurs.
La falaise d’Étretat en Normandie peut-elle supporter son million de visiteurs par an ? C’est la question que se pose Shaï-Hanah Mallet-Bitton, militante de l’association Étretat demain, alors même que la France entame la grande saison touristique des vacances d’été. “Chaque année, c’est de pire en pire, et ça va tellement vite. Je n’ai que 28 ans et j’ai déjà eu l’occasion de me rendre compte de cette dégradation”, se désole la juriste qui a passé une partie de son enfance dans ce village normand de 1 400 habitants.
Des poubelles qui débordent, des sentiers naturels creusés tant ils ont été piétinés, des éboulements plus fréquents, des plages vidées de leurs galets à hauteur de 400 kg certains jours. D’après Jean-Baptiste Renié, conseiller municipal et élu de l’opposition, la station d’épuration de la ville, qui “n’est pas calibrée pour recevoir 5 000 à 6 000 visiteurs par jour en plus des habitants”, est mise à mal. Elle a dû être arrêtée l’an dernier pour une maintenance “causée par sa surexploitation”.
“Après chaque grand week-end, une fois les touristes repartis, la ville est extrêmement sale. Quand on passe sur les falaises, on retrouve des papiers, des masques et des mégots”, a constaté Shaï-Hanah Mallet-Bitton.
“Nous avons besoin du tourisme mais il faut trouver un équilibre. Les touristes en seront les premiers bénéficiaires. Nombre d’entre eux repartent en colère après avoir tourné plusieurs heures en voiture sans pouvoir se garer, ni manger ou trouver des sanitaires, faute d’infrastructures. Ce tourisme de masse ne satisfait personne.”
Une régulation “salutaire”
En raison de leur surfréquentation, plusieurs sites naturels français en sont venus à imposer des créneaux de réservation obligatoire pour les touristes. Ainsi, le parc national des Calanques à Marseille a décidé de limiter à 400 personnes par jour la fréquentation des calanques de Sugiton et des Pierres Tombées, deux sites fragilisés par une érosion des sols due au passage de plusieurs milliers de visiteurs quotidiens en été. En Corse, trois sites touristiques emblématiques (les îles Lavezzi, les Aiguilles de Bavella et la vallée de Restonica) ont eux aussi adopté des quotas depuis le début du mois de juillet.
Pour Julien Buot, directeur de l’association Agir pour un tourisme responsable regroupant des voyagistes engagés dans une démarche écologique, ce phénomène de régulation est “salutaire”. “Il y a une prise de conscience des élus locaux et des acteurs du tourisme à tous les niveaux : il ne faut pas attendre que ça dégénère. L’idée est de s’y prendre suffisamment tôt pour ne pas en arriver à une interdiction totale des sites”, estime-t-il. Et le professionnel du tourisme de lister de nouvelles pratiques pour mieux répartir les flux de visite, comme en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca), où la région s’est associée à l’application Waze pour proposer aux usagers de revenir se balader sur les sites les plus fréquentés à des heures tardives. Une initiative également adoptée au Mont-Saint-Michel en Normandie, classé au patrimoine mondial de l’Unesco et objet de plus de 600 000 visites en 2021. Waze indique si le site est saturé et propose d’autres lieux touristiques notables aux alentours.
Avec la crise du Covid-19, de nombreux Français ont troqué les vacances à l’étranger pour des destinations françaises. “Certains se sont improvisés micro-aventuriers, mais ils n’avaient pas l’habitude de se rendre sur des sites naturels et ces lieux n’étaient pas préparés à accueillir tant de monde.” Pris d’assaut depuis la pandémie, le parc naturel de la Chartreuse dans les Alpes notamment, a dû interdire les bivouacs l’été dernier. “Si trop de randonneurs plantent leurs tentes et allument des feux, cela perturbe le milieu naturel : la faune, la flore mais aussi les habitants”, poursuit Julien Buot.
Instagram bouleverse le tourisme des sites naturels
Autre phénomène nouveau ces dernières années, Instagram est venu bouleverser le jeu touristique. “Entre le moment où l’Unesco classait un site et le moment où les touristes débarquaient, cela pouvait prendre plusieurs années. Nous avions le temps de nous préparer. Aujourd’hui, il suffit qu’un influenceur poste une photo d’un lieu insolite et, en quelques semaines, voire quelques jours, le site sera visité par des centaines de personnes”.
L’importance des réseaux sociaux dans ce phénomène de surfréquentation touristique n’est pas étranger à Shaï-Hanah Mallet-Bitton, qui voit de nombreux visiteurs se prendre en selfie au bord des falaises d’Étretat pour poster leur cliché. “ll faudra envisager de baliser les sentiers car un vrai problème de sécurité se pose.” Deux femmes sont mortes cette année après avoir chuter dans le vide au moment de prendre la pose.
Mieux baliser les sentiers, retravailler la signalétique, accentuer le ramassage des ordures… tout cela a un coût que la commune a du mal à supporter. Aussi, le conseiller municipal Jean-Baptiste Renié se réjouit de la labellisation prochaine des falaise d’Étretat au titre de “Grand site de France”. “Cela va nous permettre de sanctuariser toute une zone, d’obtenir des financements pour préserver le site et de mieux organiser les flux touristiques.”