in

L’hypertélescope lunaire expliqué par son inventeur Antoine Labeyrie



Explorez les interviews de chercheurs, photographes, voyageurs témoins d’un monde qui change sous le joug du réchauffement climatique.

Cela vous intéressera aussi


[EN VIDÉO] Dans les secrets des trous noirs grâce à un radiotélescope sur la Lune
  Le 10 avril 2019, des chercheurs dévoilaient la toute première image d’un trou noir supermassif. Une image à couper le souffle. Mais qui restait un peu floue. Pas de quoi en tirer des informations précises. Pour cela, préviennent les astronomes, il faudra agrandir l’Event Horizon Telescope. En construisant un radiotélescope sur la Lune ! 

Alors que les États-Unis se préparent à retourner sur la Lune pour, cette fois-ci, y rester, et que la Chine et la Russie ont également la volonté de s’y installer durablement, leurs motivations à tous sont aujourd’hui très différentes de celles de l’ère des missions Apollo. Elles sont moins géopolitiques qu’économiques et scientifiques.

L’utilisation des ressources de la Lune à des fins scientifiques est donc placée au premier rang des justifications pour un retour de l’Homme sur notre satellite. Sa nature, sa face cachée et les conditions particulières qui y règnent en font un véritable laboratoire à ciel ouvert pour un grand nombre de disciplines. Mieux encore, malgré sa surface inhospitalière, la Lune apparait comme un des meilleurs emplacements de tout le Système solaire pour les observations astronomiques. Sans atmosphère et avec une activité sismique quasi nulle — qu’explique sa stabilité géologique –, la Lune est la plateforme idéale pour construire des observatoires, des télescopes et des radiotélescopes de plus grande taille que sur Terre. Dans ce domaine, les idées ne manquent pas. De plus, avec son absence de vent et sa faible gravité, les télescopes sont plus faciles à manier que sur Terre.

C’est dans ce contexte que plusieurs projets d’installations d’observatoires sur la face cachée de la Lune et à son pôle Sud sont à l’étude. La France n’est pas en reste. Parmi les projets connus, on citera en exemple celui de Jean Schneider, un observatoire lunaire de 50 à 100 mètres de diamètre fonctionnant dans le visible et l’infrarouge, et celui d’Antoine Labeyrie, professeur émérite au Collège de France. Inventeur du principe de l’hypertélescope sur la Lune, ce scientifique travaille sur l’idée de sa construction depuis les années 90.

Voir des images directes comme des exoplanètes

Par rapport à un télescope géant, l’hypertélescope fait le pari de surmonter la limite de la taille des miroirs. En effet, aussi grands soient-ils, les télescopes géants utilisent des miroirs concaves pour concentrer la lumière des objets observés et si la taille de ces miroirs n’a cessé d’augmenter, elle a « une limite que les hypertélescopes surmonteront par l’utilisation astucieuse de grands réseaux de miroirs qui peuvent être espacés sur de très grandes distances ».

En effet, contrairement aux miroirs des télescopes géants qui sont construits d’un seul tenant ou segmentés comme ceux de l’E-ELT ou du télescope spatial James-Webb, par exemple, un hypertélescope est « constitué de milliers, voire centaines de milliers de miroirs pour les projets les plus ambitieux, de 0,1 mètre de diamètre ». Ces petits miroirs sont beaucoup plus faciles à produire et beaucoup moins chers que les très grands miroirs actuels. Et selon, le principe de l’interférométrie optique, dont le professeur Labeyrie est un pionnier en astronomie, ils « forment ensemble l’équivalent dun télescope dont le diamètre serait de la distance des miroirs les plus éloignés ». En d’autres termes, les performances scientifiques « seront sans commune mesure avec des instruments similaires terrestres ».

L’idée d’Antoine Labeyrie est donc d’installer de nombreux petits miroirs qui peuvent être « disposés de manière diluée dans un cratère d’impact lunaire de 10 à 25 kilomètres de diamètre ». Le scientifique envisage aussi une version plus grande construite « sur un terrain plat, s’étendant jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres ». Des versions encore plus grandes, à l’échelle de plusieurs milliers de kilomètres, « semblent également réalisables dans l’espace, sous la forme d’une flottille contrôlée de miroirs ».

En effet, si le programme Artemis et les projets actuels de bases lunaires habitées favorisent l’option d’un hypertélescope lunaire, « l’option spatiale reste intéressante principalement en raison de son coût qui pourrait être moindre, avec une méta-ouverture beaucoup plus grande ». Les supports robotisés et déplaçables, « nécessaires pour positionner précisément des miroirs sur la Lune, sont beaucoup plus coûteux que l’équivalent dans lespace ». À cela, s’ajoute que le diamètre de la Lune et de ses cratères « limite la taille d’un hypertélescope qui y serait implanté ».

Bien qu’aucune agence spatiale ne se soit engagée sur la réalisation d’un hypertélescope, qu’il soit lunaire ou spatial, Antoine Labeyrie et son équipe développent depuis 2011 un prototype en Ubaye (La Moutière, près de Bayasse) déjà bien avancé. Après un coup d’arrêt en raison de l’épidémie de Covid-19, les travaux reprennent cet été. Ils auront pour but de tester et faire fonctionner le mode interféromètrique. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail.

Sur la Lune ou dans l’espace

Ce prototype a cela d’intéressant que, si une agence spatiale décidait de financer un hypertélescope, un « cratère lunaire pourrait en principe accueillir telle quelle une version agrandie du prototype terrestre ». Plusieurs cratères, « suffisamment profonds et presque toujours plongés dans l’ombre », ont été identifiés au pôle sud lunaire, « région qui nous apparait la plus propice ». Le « cratère Aitken est un de ceux qui a notre priorité mais, ce cratère est également convoité par la Nasa ».

Mais avant d’envisager la construction d’un hypertélescope, « il sera nécessaire de réaliser d’autres essais dans l’espace ou sur la Lune ». À cela s’ajoute que nous ne savons toujours pas « laquelle de ces options est la plus difficile à réaliser, bien que le coût d’un instrument spatial apparaisse moins élevé, plus raisonnable ». Il faut savoir que le système de mesure utilisé pour évaluer le niveau de maturité d’une technologie, le « TRL (Technology Readiness Level) ressort à moins de 5 sur cette échelle qui compte 9 niveaux ».

Sur la Lune, il faudra « tester les supports de miroir, auto-mobiles et réglables, dans un cirque lunaire ombragé ». Dans l’espace, le but est de tester le « piégeage dun petit miroir, élément prototype pour une flottille de nombreux miroirs identiqueschacun éclairé par une paire de faisceaux laser ». Le principe est identique à celui du « laser sailing », envisagé pour propulser des sondes interstellaires, mais doit être « affiné pour auto-aligner en transverse et orientation “tip-tilt”, tout en maintenant avec une précision sub-micronique la position axiale “piston” grâce au double faisceau laser ».

Sans surprise, plusieurs concepts et projets d’observatoires lunaires seront en compétition. Et s’il ne fait guère de doute qu’un observatoire radio sera installé sur la face cachée de la Lune, Antoine Labeyrie est convaincu du potentiel de son instrument et de tout l’intérêt à en installer un sur la Lune, notamment pour la recherche de vie sur des exoplanètes. Il souligne que « seul l’hypertélescope annonce, grâce à un diamètre de méta-ouverture diluée qui pourrait largement dépasser les 100 km, une résolution suffisante pour en former des spectro-images montrant leurs détails à l’échelle de 400 km. Des variations spectrales saisonnières comparables à l’été indien sur Terre seraient détectables et apporteraient une bio-signature robuste ».

Son apport à l’astronomie concerne de nombreux autres domaines, principalement « l’exo-biologie, la recherche de vie extraterrestre, les Seti, les noyaux galactiques et la cosmologie du Big Bang à lexclusion des sources diffuses, bénéficieront à plein d’un hypertélescope lunaire ».

Bienvenue dans l’ère des hypertélescopes

Article de la rédaction de Futura publié le 18/04/2020

L’hypertélescope « amélioré » pourrait imager plusieurs étoiles simultanément et contribuer également à la recherche de la vie dans d’autres systèmes solaires.

Des chercheurs ont conçu une nouvelle caméra qui pourrait permettre aux hypertélescopes d’imager plusieurs étoiles à la fois. Cette conception « améliorée »  permet d’obtenir des images à très haute résolution d’objets extrasolaires. Les cibles visées pourraient être des exoplanètes mais aussi des pulsars, des amas globulaires voire des galaxies éloignées.

Antoine Labeyrie, professeur émérite au Collège de France et à l’Observatoire de la Côte d’Azur, mais aussi pionnier dans cette recherche, précise : « Un hypertélescope multichamp peut capturer une image très détaillée d’une étoile, montrant peut-être aussi ses planètes et même les détails de la surface de ces dernières. Il permettrait d’observer les exoplanètes avec suffisamment de détails pour que la spectroscopie entre en scène afin de rechercher des preuves de la vie photosynthétique ».

Dans la revue Optics Letters de la société Optical society’s (OSA), le même Antoine Labeyrie et un collège de chercheurs pluri-institutionnel apportent des résultats de modélisation optique venant confirmer le fait que la conception multichamp peut considérablement étendre la couverture étroite du champ de vision des hypertélescopes développés à ce jour.

Un miroir agrandi

Les grands télescopes optiques utilisent des miroirs concaves pour concentrer la lumière des objets observés et la taille de ces miroirs n’a cessé d’augmenter. Mais ce type de miroir a une limite au niveau de la taille justement. Les hypertélescopes sont conçus pour surmonter cette limite par l’utilisation astucieuse de grands réseaux de miroirs qui peuvent être espacés sur de grandes distances. Une version grandeur nature de ce type de télescope est actuellement en construction dans les Alpes françaises.

Pour ce projet, les chercheurs ont utilisé des modèles informatiques afin d’obtenir une conception d’hypertélescope avec un champ de vision beaucoup plus large. La formule pourrait être utilisée sur Terre, mais aussi dans un cratère de la Lune ou même à très grande échelle dans l’espace. Certes, la construction d’un hypertélescope dans l’espace nécessiterait une armada de petits miroirs espacés pour former un très grand miroir concave. Ce dernier concentrerait alors la lumière de l’objet observé vers un vaisseau spatial séparé transportant la caméra ainsi que d’autres composants optiques nécessaires.

La conception multichamp est « un ajout plutôt modeste au système optique d’un hypertélescope, mais devrait considérablement améliorer ses capacités », a déclaré Antoine Labeyrie et d’ajouter : « Une version finale déployée dans l’espace pourrait avoir un diamètre des dizaines de fois plus grand que sur Terre et pourrait être utilisée pour révéler des détails d’objets extrêmement petits tels que le pulsar du crabe, une étoile à neutrons qui ne mesurerait que 20 kilomètres. »

Un système micro-optique

Les hypertélescopes utilisent ce que l’on appelle la « densification des pupilles » pour concentrer la collecte de la lumière afin de former des images haute résolution. Ce processus limite le champ de vision empêchant la formation d’images d’objets diffus ou de grande taille (amas d’étoiles globulaires, galaxie). Les chercheurs ont alors développé un système micro-optique qui peut être utilisé avec la caméra de l’hypertélescope pour générer simultanément des images distinctes de chaque champ d’intérêt. Pour les amas d’étoiles, par exemple, cela permet d’obtenir des images distinctes de chacune des milliers d’étoiles… en même temps.

La conception multichamp proposée peut être comprise comme un instrument agrégé de plusieurs hypertélescopes indépendants, chacun avec un axe optique différemment incliné qui lui donne un champ d’imagerie unique. Les images adjacentes sont alors concentrées sur un seul capteur final. Ce projet nécessite également le développement de nouveaux composants — composants d’optique adaptative pour corriger les imperfections optiques résiduelles dans la conception hors axe, développement de techniques d’alignement et de logiciels de contrôle afin que la nouvelle caméra puisse être utilisée avec le prototype dans les Alpes.

Tout cela laisse entrevoir des découvertes exceptionnelles au niveau des exoplanètes et d’une importance majeure concernant la réponse à la question de la place de l’humanité dans cette immensité qui lui est offerte en observation.

Intéressé par ce que vous venez de lire ?

What do you think?

Written by Stephanie

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

La Cnil alerte sur le recours aux caméras “intelligentes” et thermiques contre le coronavirus

le télescope James Webb dévoile une nouvelle photo de la galaxie de la Roue de chariot