« C’est la misère. Il y a trois semaines, il y avait encore de l’eau. Là, il n’y a plus rien, je suis choqué. » Mohammed Boublekeur est venu voir où en était le niveau de l’eau dans ce bief – la portion de canal entre deux écluses – qu’il affectionne, à quelques centaines de mètres de l’entrée du port d’Epinal. C’est là que le pêcheur, 35 ans, originaire de Metz, a l’habitude d’attraper ses vifs, des appâts nécessaires à la prise de poissons carnassiers, brochets, silures, sandres… dans la Moselle.
En ce milieu d’été 2022, l’eau manque partout et le petit port de la préfecture des Vosges fait grise mine. Les eaux sont particulièrement basses et le trafic nul, car la circulation n’y est plus possible. Une situation exceptionnelle. « La plus grosse crise que nous ayons eu à gérer, c’était en 2003, mais elle était survenue à la mi-août : plus d’eau, le lac de Bouzey quasi vide, tout comme le canal des Vosges », témoigne Claude Fauchard, 60 ans, responsable de l’exploitation du barrage de Bouzey, qui travaille depuis quarante ans aux Voies navigables de France (VNF).
Le niveau du lac de Bouzey, qui alimente le canal des Vosges, lui-même soutenu par la Moselle via un autre canal, est bas depuis le début de l’été. En capacité maximale, ce grand lac, dont les berges abritent une base nautique de loisirs, des plages et un restaurant, contient 7,1 millions de mètres cubes d’eau, soit 11,50 mètres de hauteur. En raison de fragilités observées sur la grande digue qui le contient – la précédente, qui datait de la fin du XIXe siècle, a rompu en 1895, les eaux emportant tout sur leur passage et faisant 87 morts –, cette capacité a été limitée à 4 millions de mètres cubes, soit 8,70 mètres d’eau. La sécheresse inédite de 2022 a abaissé ce niveau à 3,50 mètres, soit un volume estimé à quelque 650 000 mètres cubes d’eau.
L’alimentation du réseau de canaux qui maille la région devient compliquée, d’autant que la prise d’eau directe dans la Moselle est elle aussi menacée : la priorité est donnée au respect du « débit réservé », soit l’obligation de maintenir dans le cours d’eau un volume minimal, garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans la rivière. Ce débit minimal « biologique » est fixé par le code de l’environnement, modifié par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006.
Les débits réservés sont quasiment atteints dans la Moselle, la Meuse, et déjà dans l’Ornain, résume Laurent Lemoine, 48 ans, responsable de l’exploitation du canal de la Marne au Rhin Ouest. Et les annonces de fermeture d’itinéraire se succèdent.
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