Au début du XXe siècle le grand physicien et astronome britannique James Jeans a découvert une relation entre la température et la densité d’un nuage de matière permettant de deviner quand un tel nuage devient instable et s’effondre gravitationnellement pour donner des étoiles. Les calculs montrent que la masse de Jeans — la masse limite en dessous de laquelle il y a effondrement pour un jeu de température de densités données — évoluent avec l’effondrement. Cela est facile à comprendre puisque la densité croît et la température aussi pour un gaz comprimé par l’effondrement. Il en résulte que la masse décroît avec cet effondrement, ce qui provoque la fragmentation d’un nuage en plus petits nuages qui peuvent aussi s’effondrer.
Pour cette raison, les étoiles dans les galaxies naissent en fait en groupe par fragmentations, parfois successives avec la naissance de systèmes binaires plus ou moins stables. Notre Soleil a donc probablement pendant un temps fait partie d’un tel système dans une pouponnière de jeunes étoiles aujourd’hui dispersées dans la Voie lactée il y a 4,5 milliards d’années environ.
Dans ces pouponnières, certaines des étoiles formées sont très massives et, selon les lois de l’astrophysique de l’évolution stellaire, lorsqu’elles dépassent les huit masses solaires, elles vont finir par exploser en supernovae seulement quelques millions d’années après leur naissance tout au plus.
Il y a quelques années, le télescope Hubble avait permis de faire un zoom vertigineux en direction de l’amas d’étoiles R136 qui se trouve à environ 160.000 années-lumière de la Terre au centre de la nébuleuse de la Tarentule dans le Grand Nuage de Magellan, une galaxie naine compagnon de la Voie lactée.
Les astronomes avaient alors découvert l’étoile probablement la plus massive connue à ce jour et elle posait un problème pour la théorie de la structure stellaire en dépassant probablement les 300 masses solaires. Futura s’était longuement étendu sur la découverte de R136a1 dans le précédent article ci-dessous.
Aujourd’hui, les astronomes reviennent sur cette étoile avec un article en accès libre sur arXiv qui fait état de nouvelles observations de R136a1 mais, cette fois-ci, menées depuis le sol avec l’instrument Zorro sur le télescope Gemini Sud de l’Observatoire international Gemini, exploité par le NOIRLab de la NSF.
Un zoom sur R136a1 avec la technique d’imagerie de chatoiement
L’amas R136 a été observé avec une résolution supérieure à celle de Hubble dans l’espace en corrigeant les effets de la turbulence de l’atmosphère terrestre. Pour cela, il a fallu utiliser une technique de traitement de l’image basée sur l’existence du phénomène de tavelure qui a été pour la première fois observé en optique vers 1920 par le prix Nobel de physique Max von Laue.
Les tavelures, ou chatoiement (speckle en anglais), sont l’ensemble des petites taches rapidement fluctuantes qui apparaissent dans la texture instantanée d’une image et qui lui donnent un aspect granuleux. Combinée avec de l’optique adaptative, la technique d’imagerie de chatoiement a permis de montrer que R136a1 était observée très proche d’autres étoiles de son amas de sorte que sa luminosité intrinsèque a été quelque peu surestimée.
Or, il existe une loi de puissance bien calibrée reliant la masse d’une étoile à sa luminosité intrinsèque, nécessairement il a donc falluu revoir les estimations de la masse de R136a1. Les observations précédentes suggéraient que R136a1 avait une masse comprise entre 250 et 320 fois la masse du Soleil. Les nouvelles observations de Zorro suggèrent aujourd’hui que R136a1 ne contiendrait en fait que de 170 à 230 masses solaires, ce qui la qualifie toujours cependant comme l’étoile la plus massive connue.
« Nos résultats nous montrent que l’étoile la plus massive que nous connaissons actuellement n’est pas aussi massive que nous le pensions auparavant. Cela suggère que la limite supérieure des masses stellaires pourrait également être plus petite qu’on ne le pensait auparavant », explique dans un communiqué de NOIRLab Venu M. Kalari, auteur principal de l’article annonçant ce résultat.
En outre, si R136a1 est bien moins massive qu’on ne le pensait auparavant, il pourrait en être de même pour d’autres étoiles géantes. Or la mort d’étoiles de plus de 150 fois la masse du Soleil doit se faire sous la forme de supernovae à instabilité de paires, qui pourraient donc être plus rares que prévu.
Record de masse pour l’étoile R136a1
Article de Laurent Sacco publié le 22/07/2010
Un consensus au sein de la communauté des astrophysiciens, portant à environ 150 fois la masse du Soleil la limite pour la masse d’une étoile, vient de voler en éclats si l’on en croit des observations de l’amas ouvert RMC 136a faites avec le VLT et Hubble. Une étoile de 265 fois la masse du Soleil vient d’y être observée ainsi que d’autres dépassant la limite précédente.
On dispose depuis plusieurs dizaines d’années d’une théorie de la structure des étoiles expliquant bon nombre de leurs caractéristiques. On sait ainsi depuis les travaux de pionnier de l’astrophysicien Arthur Eddington qu’il existe une luminosité maximale pour une étoile de masse donnée, au-delà de laquelle le souffle de son flux de radiation provoque une perte de masse importante de l’étoile.
Cette limite imposait donc des contraintes à la croissance de la masse d’une étoile par accrétion, et certains soupçonnaient qu’elle pouvait même conduire à une masse limite pour les étoiles dans l’Univers. De fait, les observations depuis un certains temps dans la Voie Lactée ne montraient pas d’étoiles dépassant les 150 masses solaires environ. Un consensus basé sur ces observations régnait donc au sein de la communauté des astrophysiciens stellaires. Cette masse devait bien être une bonne approximation de la masse maximale pour une étoile.
Toutefois, un groupe d’astronomes observant les étoiles de l’amas ouvert RMC 136a, situé à l’intérieur de la nébuleuse de la Tarentule, elle-même membre du Grand Nuage de Magellan, à 165.000 années-lumière du Soleil, vient d’y découvrir plusieurs étoiles dépassant cette masse limite !
En combinant des données d’archives du télescope spatiale Hubble et celles fournies par le Very Large Telescope (VLT), ils ont ainsi estimé que la masse de l’étoile R136a1, telle qu’on l’observe actuellement, est d’environ 265 fois celle du Soleil.
Compte tenu du fait que sa luminosité, presque 10 millions de fois supérieure à celle du Soleil, doit entrainer une perte de masse importante, lorsqu’elle est née, il y a environ un million d’années, sa masse devait même dépasser les 320 masses solaires. Dans tous les cas, il s’agit d’un record !
La vidéo du zoom sur la nébuleuse de la Tarentule dans le visible aboutissant à l’amas RMC 136a vue dans l’infra-rouge proche, ici en fausses couleurs. © ESO/P. Crowther/C.J. Evans.
Selon les astronomes, si R136a1 remplaçait le Soleil dans notre système solaire, son rayonnement serait par rapport à ce dernier ce qu’il est par rapport à celui de la pleine Lune. Raphael Hirschi, l’un des chercheurs qui a cosigné l’article au sujet de cette découverte précise même que pour R136a1 : « Sa grande masse réduirait la durée de l’année terrestre à trois semaines et elle arroserait la Terre de rayonnements ultraviolet incroyablement intenses, rendant la vie impossible sur notre planète ».
Les étoiles massives découvertes dans l’amas RMC 136a l’ont été grâce à l’ extrême pouvoir de résolution dans infrarouge des instruments du VLT. Au total, on connait maintenant quatre étoiles dans RMC 136a (qui en compte 100.000 environ).
Selon un autre membre de l’équipe, Olivier Schnurr de l’Astrophysikalisches Institut Potsdam : « Notre découverte confirme la vision antérieure indiquant qu’il y a une limite supérieure à la grosseur des étoiles, toutefois cette limite augmente d’un facteur deux pour atteindre maintenant les 300 masses solaires. »
Reste à comprendre la naissance et le destin de ces étoiles…
Pour l’astronome Paul Crowther : « Soit elles sont nées aussi grosses soit des étoiles plus petites ont fusionné pour produire ces cas extrêmes ». Avec une masse aussi importante, elles devraient finir en supernovae mais au lieu d’avoir un cœur qui s’effondre en trou noir, il est probable que des réactions n’opérant pas dans les étoiles en dessous de 150 masses solaires vont s’y produire.
Les astrophysiciens théoriciens ont proposé depuis un certain temps que les températures et les énergies énormes qui régneront en fin de vie dans ces étoiles vont provoquer la formation de paires d’électron-positron, rendant celles-ci instables. Quelques candidats supernovae explosant en raison de cette instabilité ont déjà été observés, comme par exemple SN 2007bi.
On n’est probablement pas encore au bout de nos surprises avec les étoiles. Certains théoriciens ont même proposé récemment que quelques-unes d’entre elles brûlaient des quarks.
—
OFFRE SPÉCIALE : abonnez-vous à notre média pour une durée de 3 mois et recevez le Mag Futura en cadeau !*
*Offre valable pour toute nouvelle souscription de 3 mois à l’offre “Je participe à la vie de Futura” sur Patreon.
—
Intéressé par ce que vous venez de lire ?