Avez-vous déjà vu une mayonnaise se monter toute seule, des vagues apparaître sur une mer sans vent ou encore de la peinture s’étaler d’elle-même sur un mur ? Normalement non car ces différents fluides sont inertes et ont besoin d’une force externe pour entrer en mouvement. Le physicien Zvonimir Dogic et ses collaborateurs (université de Santa Barbara, Californie) ont réalisé ces prouesses en ajoutant à un fluide inerte un liquide « actif » capable de produire par lui-même la force nécessaire à son écoulement. Leurs travaux ont été publiés, jeudi 11 août, dans la revue américaine Science.
La physique de la matière active est un domaine de recherche émergent, apparu, en 1995, à la suite d’un article du Hongrois Tamas Vicsek, rappelle le physicien Olivier Dauchot, de l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI). « Il s’intéressait aux mouvements collectifs d’oiseaux [comme les nuées d’étourneaux] et se demandait comment un mouvement coordonné pouvait émerger dans ces communautés où l’on sait qu’il n’y a pas de coordination entre les individus. » Ces comportements ont de plus été observés chez d’autres espèces, dans les bancs de poissons ou les troupeaux de bisons, et à d’autres échelles, par exemple à l’intérieur de nos cellules.
Ces systèmes naturels ont inspiré les scientifiques pour concevoir de nouveaux matériaux « actifs ». Ce sont en fait des systèmes hors équilibres, constitués d’objets élémentaires qui puisent de l’énergie autour d’eux, la dépensent et produisent un mouvement. Ces objets exercent alors une force sur leur environnement et organisent leurs mouvements indépendants en un mouvement collectif.
Un courant non électrique
Depuis plusieurs années, l’équipe de Zvonimir Dogic a développé un matériau dont l’activité émerge du travail de moteurs moléculaires : des protéines qui se déplacent en consommant de l’énergie à l’échelle moléculaire. Ces nanomoteurs mettent en action des microtubules, qui sont de longs filaments présents dans nos cellules, et créent ainsi un courant – non électrique – au sein du fluide où ils se trouvent.
Dans ce liquide actif, l’équipe américaine a récemment dispersé un fluide « inerte », connu pour ne pas se mélanger avec le premier (tout comme on disperse des gouttes d’huile dans de l’eau pour faire une mayonnaise). L’écoulement produit par une quantité modique de moteurs pousse les gouttes de liquide passif à fusionner : la « mayonnaise » retombe plus vite. Mais avec une grande quantité de moteurs, les turbulences générées permettent de maintenir à une taille constante les gouttes du liquide passif. Ces gouttes se rejoignent et se divisent en continu, et la mayonnaise s’émulsionne de l’intérieur.
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