L’évolution est économe. Faire du neuf avec du vieux, tel est son mantra. « L’évolution se comporte comme un bricoleur qui (…) modifierait lentement son travail, (…) coupant ici, allongeant là, saisissant chaque opportunité de s’adapter progressivement à son nouvel usage », racontait en 1977 le biologiste François Jacob, Prix Nobel de médecine, dans la revue Science. De ce bricolage aléatoire – il procède du pur hasard – sont nées de fabuleuses innovations tel l’œil, exemple bien connu.
Un nouvel exemple de ce jeu de construction moléculaire nous est conté dans la revue Science Advances du 26 août. Cette fois, il est décrit à l’œuvre dans la salive et les mucus qui tapissent la surface de nos organes ! Ces fluides visqueux lubrifient les aliments, protègent les muqueuses des agressions mécaniques, chimiques ou microbiennes, mais permettent aussi aux limaces de glisser sur le sol…
Voilà plus de trente ans qu’une équipe de l’université de Buffalo (Etats-Unis) s’intéresse aux molécules de la salive appelées mucines, qui préservent les dents des caries. Dans ces nouveaux travaux, elle a comparé les génomes de 49 espèces de mammifères, en ciblant les mucines, qui confèrent aux mucus leur viscosité et leur élasticité.
Proche des larmes
Les chercheurs ont d’abord remarqué qu’une petite mucine présente dans la salive de souris, MUC10, n’est pas apparentée à une mucine de taille semblable, MUC7, trouvée dans la salive humaine. En revanche, cette mucine de souris partage une partie de sa structure avec une protéine des larmes humaines, PROL1, laquelle n’est pas une mucine.
Mais il y avait une différence de taille. Cette protéine des larmes humaines est dépourvue d’une région-clé qu’ont en commun – avec des variantes – toutes les mucines. Il s’agit d’une région formée de la répétition (plus de 10 à 100 fois) d’une séquence qui peut compter jusqu’à 169 acides aminés, les briques élémentaires des protéines. Fait crucial, elle est riche en trois acides aminés (la proline, la thréonine et la sérine, d’où son nom de « domaine PTS ») où s’accrochent, tels les poils d’un goupillon, des milliers de chaînes de sucres. C’est parce qu’elles sont hérissées de sucres que les mucines rendent les mucus visqueux.
« Les mucines sont composées à 80 % de sucres et à 20 % d’acides aminés, explique Isabelle Van Seuningen, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de ces molécules à l’université de Lille. Dans notre espèce, cette famille comporte une vingtaine de molécules différentes, chacune ayant des territoires privilégiés. » Les mucus qui recouvrent les cavités de notre bouche, de notre nez, de nos poumons ou de nos intestins, par exemple, ont ainsi des compositions différentes.
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