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Podcast. Comment réussir à nourrir l’Afrique


Des sécheresses à répétition, une instabilité chronique, des ralentissements économiques, et c’est tout un continent qui a faim. L’Afrique souffre depuis des décennies d’insécurité alimentaire. Après une période d’amélioration entre 2000 et 2013, la situation s’est aujourd’hui considérablement aggravée. Presque tous les pays d’Afrique subissent le fardeau de la malnutrition, sous forme de dénutrition et de carences en micronutriments. En 2020, selon les chiffres de l’Organisation des Nations unies, un Africain sur cinq était sous-alimenté, principalement en Afrique centrale et de l’Est. Une situation qui a empiré avec la pandémie et avec les conflits. Comment éliminer la faim sur le continent ? Quelles initiatives pour améliorer la situation ? La famine quittera-t-elle un jour l’Afrique ? Eléments de réponses dans l’épisode 4 de « La fabrique du savoir, saison 2 », un podcast du Monde produit en partenariat avec l’Espace Mendès-France de Poitiers.

Au micro de la journaliste Joséfa Lopez, Jean-Daniel Cesaro, géographe, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), Alphonsine Ramdé, chercheuse à l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) et coordonnatrice nationale du programme Nutrigreen, et David Giron, directeur de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI).

En Afrique, des programmes sont lancés pour permettre aux populations de se nourrir.

Qu’appelle-t-on « sécurité alimentaire » ?

Alphonsine Ramdé : Selon les Nations unies, la sécurité alimentaire et nutritionnelle existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture saine, de qualité satisfaisante, qui, dans la quantité consommée, couvre les besoins énergétiques. Tout ceci doit être renforcé par un environnement dans lequel l’assainissement et le système de santé sont adéquats afin que chacun puisse mener une vie active et saine. Pour le moment, c’est un grand défi qui est posé à l’ensemble des pays du Sahel.

David Giron : Les pays d’Afrique ne sont pas tous concernés par l’insécurité alimentaire mais à tout moment, en raison de conditions politiques ou de modifications climatiques, on peut avoir un basculement. L’idée est donc d’anticiper les grands enjeux de demain pour maintenir l’accès à l’alimentation. Il faut essayer de trouver des solutions durables, à déployer dans tous les pays, pour agir dans la durée.

Agir sur la sécurité alimentaire doit se faire de manière globale et durable donc …

Jean-Daniel Césaro : Il faut d’abord travailler à renforcer les capacités des systèmes de production en Afrique en tenant compte du changement climatique. Les Etats doivent réaliser un investissement de fond dans ce sens. Puis il y a l’aspect d’urgence pendant les conflits : il s’agit d’avoir des chaînes d’approvisionnement qui permettent de répondre dans l’instant, d’apporter aux populations en situation d’insécurité l’aliment dont elles ont besoin. Cela nécessite aussi de travailler sur des accords entre pays pour que les marchés agricoles restent ouverts. On voit bien qu’avec la crise de l’Ukraine et la fermeture de certains pays sur l’huile de palme et plusieurs autres produits très stratégiques, on peut s’attendre à des répercussions assez fortes, notamment en Afrique.

D. G. : C’est l’accumulation de différentes crises (climatique, géopolitique) qui génère des problématiques d’insécurité alimentaire. La question du local est alors extrêmement importante, et donc la notion d’éducation aussi. Il faut vraiment sensibiliser les gens sur « les fausses bonnes solutions ». Par exemple, actuellement, on parle beaucoup de produire des insectes pour l’alimentation. Mais on voit que dans certaines zones, il y a une pression très forte sur les populations d’insectes naturels. Il ne faudrait pas que, pour répondre à l’insécurité alimentaire, on provoque la disparition de certaines espèces qui jouent un rôle essentiel dans l’agriculture, par exemple. En essayant de résoudre un problème, on en créerait un nouveau. Mais quelles méthodes mettre en place ? Ce qui marche en Europe ne marche pas forcément ailleurs. On doit donc s’inspirer de ce qui se fait localement, le faire évoluer pour partir d’une collecte locale dans la nature et arriver à des petites unités de production, voire à des très grosses unités de production, avec des circuits courts. La clé est là : des solutions locales pour des problèmes locaux.

Pour tenter de limiter l’insécurité alimentaire, des programmes ont été lancés, comme Nutrigreen en 2021. En quoi consiste ce projet de « nutrition verte » développé dans la région du Sahel et quels sont ses enjeux ?

A. R. : C’est un projet qui réunit quatre pays : la Suède, le Burkina Faso, le Sénégal et l’Allemagne. Il s’agit d’encourager la population à consommer des produits locaux, notamment par la mise en place de « jardins nutritifs ». Ces jardins permettent aux populations de cultiver de quoi se nourrir durant les périodes difficiles de l’année. Ce sont en grande partie des initiatives féminines car en Afrique, la femme à la responsabilité de la production alimentaire pour son foyer. Elles mettent ainsi en œuvre des techniques de récupération des terres dégradées, contribuent à nourrir les familles et en plus, elles créent une activité qui génère des revenus.

Nous menons aussi une éducation à l’environnement pour inciter les gens à adopter une production adaptée à l’agroécologie – au niveau de l’eau, de la transformation des produits – et adaptée aux effets du changement climatique. On constate que la quantité et la qualité des produits vivriers de base, tels que le blé, le riz ou le maïs, diminuent. Cela prédispose à une malnutrition, donc à un affaiblissement du système immunitaire qui rend vulnérable aux maladies. Pour parer à cela, nous travaillons beaucoup à valoriser les plantes à la fois nutritives – par les racines, le fruit, les feuilles – et thérapeutiques.

D. G. : A tout moment, en raison de conditions géopolitiques ou des modifications climatiques qui nous attendent, on peut assister à un basculement chez toute une population, ou une partie, vers la malnutrition. Nous devons donc essayer d’anticiper les enjeux de demain. Trouver des solutions qui soient plus durables, qui puissent être développées et déployées dans tous les pays. Et nous devons surtout écarter les fausses bonnes solutions qui répondent à un enjeu à un moment donné, mais qui, dans la durée, vont poser les mêmes problèmes que l’élevage intensif notamment.

Des jardins nutritifs ont été développés par le progamme Nutrigreen au Sahel.
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En matière de recherche, l’interdisciplinarité est-elle nécessaire pour lutter contre l’insécurité alimentaire ?

D. G. : C’est la clé. Dans les disciplines biologiques, il faut par exemple une collaboration entre des gens qui travaillent sur les végétaux, sur les insectes, sur les mammifères, etc., parce que tous les êtres vivants sont interconnectés et la modification d’un élément d’un écosystème va entraîner des répercussions sur l’ensemble de cet écosystème. Ensuite, il faut mettre en pratique les données de la recherche en lien avec les populations locales. C’est l’aspect transmission, éducation. Lorsqu’on touche à des questions sanitaires, sociales, il faut travailler avec des économistes et des anthropologues. L’articulation de toute cette sphère scientifique avec la société est nécessaire pour réaliser des programmes. Et puis, bien sûr, il y a les décideurs politiques et les financeurs. C’est compliqué, mais on voit bien qu’un conflit aux portes de l’Europe crée des problèmes d’approvisionnement en Afrique. De même que le Covid-19 a touché toute la planète. Un dérèglement à un endroit du globe a un impact sur le monde entier. La prise de conscience de ce phénomène est assez récente pour les Occidentaux. Elle est brutale, mais nécessaire pour que nous trouvions des solutions ensemble. Cela nécessite de repenser les choses.

J.-D. C. : On a eu un premier effet d’alerte en 2008 avec les émeutes de la faim qui ont suivi la spéculation autour des denrées alimentaires. Au Sénégal, il y a eu des grands plans d’investissements, notamment sur la culture du riz. Cette question de la souveraineté alimentaire, qui est liée à des questions de sécurité, a été soulignée. Le projet de Grande Muraille verte – qui consiste à reboiser le Sahel – a aussi émergé à cette époque-là. Pour le grand public, c’est un projet de reforestation mais il s’agit aussi de restaurer des terres dégradées, c’est-à-dire de redonner une valeur économique à des terres qui ne sont plus exploitées, soit à cause du changement climatique, soit à cause des conflits.

Comment concilier environnement, agriculture et élevage sur un continent où les terres, pour différentes raisons, ne sont pas toujours exploitables ?

J.-D. C. : Le projet de Grande Muraille verte menée en Afrique depuis 2007 pour replanter des arbres a par exemple souvent opposé l’aspect conservation des terres à l’aspect élevage. On avait l’objectif de replanter des arbres, or les troupeaux ont l’habitude de manger ce qui se présente. Si on ne protège pas les petites plantules, elles ne poussent pas ! Il y a donc une articulation à trouver. L’élevage pastoral vit de l’arbre et l’arbre est intimement lié à l’animal : dans son écosystème, il en a besoin pour supporter les moments où il n’y a plus de biomasse herbacée et où il faut quand même nourrir les troupeaux.

Il ne faut pas opposer agriculture et élevage, parce qu’il y a des relations assez intéressantes. Au Sénégal, par exemple, on produit beaucoup de riz, et donc de son de riz. Ce son, l’être humain ne peut pas le consommer. Il est intégré dans les rations animales. Les animaux sont donc une partie de la solution, il ne faut pas les exclure.

David Giron, concernant la production d’insectes, qui est votre spécialité, à un moment, elle était présentée comme « la nourriture de demain ». Est-ce toujours le cas ?

D. G. : Les insectes peuvent être un des aliments de demain, mais pas LA solution miracle. Par ailleurs, il ne faut pas créer d’autres problèmes en mettant une pression supplémentaire sur l’environnement et ainsi aller à l’encontre de la production agricole. Au contraire, on pourrait par exemple prélever dans la nature des insectes ravageurs de cultures pour les consommer et préserver les pollinisateurs. En agissant sur la consommation de certains insectes, on réduirait une pression sur les ruches et sur les cultures. Mais si on passe sur une production plus industrielle, attention à ne pas réitérer les problèmes de la culture intensive qui impliquent d’utiliser des antibiotiques. On n’apprend pas vraiment du passé, alors soyons vigilants aux engrenages qui peuvent se déclencher et se tranformer en fausses bonnes solutions. D’où l’intérêt de l’éducation pour transmettre les savoirs.

Produire – grâce à l’agriculture, à l’élevage, aux insectes –, c’est une chose, mais il faut ensuite pouvoir stocker ses récoltes. L’Afrique est-elle assez équipée ?

J.-D. C. : Sur les infrastructures, de stockage comme de commercialisation, il y a un enjeu immense. L’Afrique produit énormément, et elle exporte d’ailleurs beaucoup certaines denrées. Mais regardons la filière laitière, par exemple : au Sahel, on produit du lait qui est consommé localement, sous forme huile, en beurre, mais qui n’arrive pas jusqu’aux villes… Paradoxalement, les Etats sahéliens se retrouvent avec une très grosse quantité de lait qu’ils ne savent pas stocker, et doivent donc importer énormément à cause du manque d’infrastructures. Les pays doivent donc investir dans ce domaine. Certains commencent, comme au nord du Sénégal, mais il faut aussi faire la même chose avec l’oignon, le riz, le mil, le sorgho, les protéines végétales… pour permettre à l’Afrique de produire en quantité et en qualité et d’abonder les marchés.

Les politiques ont un rôle majeur à jouer pour enrayer l’insécurité alimentaire…

J.-D. C. : On l’a vu dans la crise ukrainienne, le président du Sénégal s’est déplacé en Russie pour discuter du commerce du blé au nom de l’Union africaine. Pour répondre à une crise rapide, il faut une réponse politique, puis mettre en place des plans d’investissements et de recherche. Avoir des investisseurs du secteur privé dans les filières est essentiel, surtout dans des économies dites libérales. Mais pour qu’un chef d’entreprise ait envie d’investir au Sahel, il faut que les infrastructures soient sécurisées, et donc qu’il y règne la paix. Les bailleurs – la Banque mondiale, le Fonds international de développement agricole – doivent ainsi renforcer leur présence. Les annonces d’Emmanuel Macron sur le One Planet Summit ont marqué, parce qu’on n’avait jamais entendu parler d’investissements aussi importants pour la « Grande muraille verte » par exemple. Mais cela nécessite aussi d’harmoniser, d’intégrer, de coordonner les actions, de bien cibler afin que tout cet argent arrive bien sur le terrain. On entend parfois de grandes annonces au niveau international, mais nous, les chercheurs et acteurs de terrain, on ne voit pas forcément grand-chose. Des réalisations, oui, il y en a, mais il faut que cette coordination soit améliorée pour que les populations bénéficient de ces programmes majeurs.

Peut-on oser rêver un jour de briser la spirale de l’insécurité alimentaire en Afrique ?

D. G. : Oui, on a le droit de rêver, mais il faut surtout la souhaiter et nous mettre en action pour y parvenir ! D’autant que, aujourd’hui, on résume le problème à l’Afrique, mais demain, avec les crises environnementales, c’est toute la planète qui va se trouver face à cette problématique. Les solutions sont souvent présentes au niveau local, mais il faut les déployer à plus grande échelle. Reconnecter les hommes avec la nature, pour qu’ils se sentent impliqués, pour que les savoirs ne se perdent pas. L’éducation joue un rôle extrêmement important.

De quelle manière la recherche peut-elle agir contre l’insécurité alimentaire ?

J.-D. C. : L’innovation en recherche consiste à travailler sur des laboratoires vivants. C’est ce qu’on appelle le « living lab ». Jusque-là, nous restions dans notre tour d’ivoire à regarder la planète et à écrire nos papiers. A travers ces notions de science citoyenne, on se retrouve dans de nouvelles formes d’interaction où nous-mêmes, chercheurs, devenons sujets de l’expérimentation. Nous réfléchissons sur nos propres pratiques et modes de communication. Et puis, on laisse aussi maintenant la place à la coconstruction de la décision : les expérimentations ne sont plus imposées. Elles sont décidées avec les populations suivant les problèmes qu’elles identifient et soulèvent. On leur demande : comment voulez-vous faire ? Quels sont les moyens ? Quels sont les leviers ? On teste l’expérimentation, on met les protocoles en place, on revient dans le laboratoire, on analyse les résultats… Il y a tout un réapprentissage du métier de chercheur qui est en train d’apparaître. C’est très stimulant et cela laisse beaucoup d’espoir.

Écouter aussi « La fabrique du savoir » s’ancre sur le continent africain pour sa saison 2

« La fabrique du savoir » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez pour Le Monde. Réalisation : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Espace Mendès-France de Poitiers.

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Written by Stephanie

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