Le livre. La vie dans la mythique tour d’ivoire des scientifiques n’est pas toujours rose. Il arrive même qu’elle tourne au drame : meurtres, accidents ou suicides. Selon Peter Zweiacker, qui les recense dans son livre, il y aurait eu plus de cinquante décès depuis l’Antiquité, si l’on compte aussi des inventeurs, des ingénieurs ou des médecins qui ne vivent pas dans des laboratoires de recherche proprement dits. D’authentiques mathématiciens, physiciens ou biologistes n’en figurent pas moins dans ce panthéon macabre et non exhaustif.
L’auteur pousse le vice jusqu’à ajouter un chapitre recensant les « disqualifiés », que le lecteur aurait pu être tenté d’inclure dans cette liste si particulière, mais qu’une analyse précise rejette. Exit, donc, des célébrités comme Pierre Curie, écrasé par un tramway, mais pas vraiment en train de travailler, ou Jean-Paul Marat, qui, avant d’être journaliste et conventionnel, se piquait d’optique et bataillait contre Newton, mais que Charlotte Corday ne tua pas pour défendre la théorie du savant anglais.
Pour alléger la morne litanie des disparus, l’auteur a opté pour un ton désinvolte et très ironique. Parfois jusqu’à l’excès, rebaptisant le célèbre Soviétique Trofim Lyssenko « Zinzin », pour ne laisser aucun doute sur le crédit qu’il accorde à celui qui a conduit à la mort de bon nombre de ses confrères biologistes, mis au ban sous Staline, jusque dans les années 1950. Le ton badin sur lequel il parle de l’accident de Tchernobyl, des gaz de combat ou de la solution finale aura peut-être du mal à passer.
Une autre histoire des sciences
Cette légèreté se double d’une propension aux digressions sur l’astrologie, les trombidions (acariens), l’économie du besoin… Détours informatifs qui ménagent des effets de surprise, le couperet tombant au moment où on ne l’attend pas. L’auteur prend aussi un malin plaisir à tordre le cou à quelques légendes de l’histoire des sciences et n’hésite pas à faire état de plusieurs hypothèses à propos de cas qui complexifient sa délicate entreprise de classement rigoureux.
Le bilan ? Vingt-trois suicides, 21 meurtres et 9 accidents (au moins). Cette dernière catégorie est la moins ambiguë : une plongeuse biologiste se fait manger par un requin, des vulcanologues meurent lors d’une éruption, un physicien s’électrocute en voulant récupérer l’énergie des éclairs…
Ce n’est pas le cas des suicides, plus délicats à associer à l’exercice d’une profession, même si l’auteur est convaincant dans ses démonstrations. Le mathématicien Kurt Gödel, dont l’obsession pour la logique le conduisit à se laisser mourir de faim, mérite cette place, contrairement à son collègue Alan Turing, qui ne supporta pas la castration chimique qu’il fut condamné à suivre en raison de son homosexualité, interdite à son époque. Dans ce lot, on trouve aussi beaucoup d’inventeurs ou industriels ruinés, incompris ou lésés.
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