La boîte noire est à peine plus large qu’une caisse de vin. La face du dessus, transparente, laisse voir une roue qui fait tourner plusieurs tubes où de minuscules billes flottent dans du liquide jaunâtre : ce sont des embryons en pleine croissance. La machine est une sorte d’utérus artificiel qui reproduit les conditions d’une gestation in utero, inventé par le professeur Jacob Hanna et son équipe à l’Institut Weizmann des sciences, à Rehovot, en Israël. L’an dernier, ils y ont fait grandir des embryons de souris, nés d’une fécondation classique. Désormais, ils y font croître des « embryons synthétiques », créés à partir de cellules souches, sans gamètes – les cellules sexuelles – ni fécondation. Les chercheurs ont réussi à les faire se développer jusqu’à huit jours et demi, une première mondiale dévoilée début août.
Quelques jours plus tard, la revue Nature publiait des résultats similaires, auxquels l’équipe israélienne a contribué, témoignant de l’effervescence et de l’intense mélange de compétition et de coopération qui anime ce domaine ces dernières années.
Dans les deux cas, la percée concerne à la fois la méthode d’obtention et la durée de culture : à ce stade, les embryoïdes ont déjà un cerveau développé, un cœur qui bat, des intestins, les « somites », qui donneront les muscles, ainsi qu’un placenta. Ils sont à 95 % semblables aux embryons de souris naturels à ce stade de maturation, la gestation complète chez le rongeur étant de vingt jours.
De nouveaux horizons
La méthode est transposable sur les humains : l’équipe israélienne a déjà fait grandir « des embryons synthétiques, à un stade très précoce », qui sont pour l’instant encore très différents de ce que produit la nature, affirme le professeur Jacob Hanna. Au-delà de la prouesse technique et scientifique, son étude sur la souris, qui a suscité pas mal de fantasmes après sa publication dans la revue Cell, le 1er août, laisse entrevoir de nouveaux horizons, notamment pour mieux comprendre les étapes du développement des embryons, et dans le domaine de la fertilité ou de la médecine régénérative.
Ces « embryons de synthèse » – synthetic embryos, tels qu’ils sont nommés dans Cell – ne pourront pas mener une gestation complète et devenir des humains et des souris, souligne d’emblée le professeur Hanna. Lui-même hésite d’ailleurs sur le terme approprié pour les désigner, car ils ne sont pas fabriqués à partir d’un assemblage de cellules, comme d’autres modèles d’embryons obtenus artificiellement, mais ne sont pas naturels pour autant. Le scientifique de 43 ans évoque des « embryoïdes », car ils « accusent un large retard par rapport aux embryons [issus d’une fécondation]. Ils ne peuvent croître in vitro que jusqu’à huit jours et demi, contre onze jours pour les embryons obtenus par fécondation. C’est le maximum, pour l’instant. Au-delà, [on] ne peu[t] même plus les appeler embryons tellement ils ont de malformations ». Seules 0,5 % des entités ainsi recréées se développent – un faible taux de réussite qui n’inquiète pas l’équipe, car, à ce stade si précoce, les chercheurs peuvent les cultiver en masse.
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