Taxer les véhicules à fortes émissions de CO2 comme le propose le plan climatique de Québec solidaire, est-ce une mesure efficace pour diminuer les gaz à effet de serre? Plusieurs experts croient que oui, et vont même jusqu’à dire que cette approche est encore trop timide.
• À lire aussi: Quel est le problème avec les VUS?
• À lire aussi: Attention, des militants écologistes pourraient dégonfler les pneus de votre VUS
Dans son plan vert dévoilé dimanche dernier, Québec solidaire (QS) promet d’instaurer une taxe de 15% pour les véhicules qui émettent 210 grammes et plus de CO2 par kilomètre, dès l’an prochain.
Ce malus (contraire de bonus) équivaut à un montant supplémentaire d’environ 12 000$ pour un GMC Yukon ou de 7000$ pour un Chrysler Grand Caravan, selon les calculs du Journal.
Les familles nombreuses, les personnes en situation de handicap et les véhicules utilisés pour le travail seront exemptés de la surtaxe, qui sera ajustée selon les réalités régionales.
«On comprend que vivre dans Ungava ou dans Hochelaga-Maisonneuve n’est pas la même chose niveau déplacement», précise l’attachée de presse du parti, Gabrielle Arguin.
• À lire aussi: Pétro-masculinité: quand brûler du gaz dans un gros char est synonyme de virilité
Le parti propose également un bonus de 15% sur les véhicules électriques et de 7,5% sur les véhicules hybrides. «Le malus financera le bonus», ajoute Mme Arguin.
Les solidaires misent donc sur la responsabilité individuelle des grands émetteurs —comme les propriétaires de véhicules utilitaires sport (VUS) — pour réduire les GES. Les autres partis ont pour leur part écarté cette option.
«Il faut mettre des contraintes financières sur les pollueurs, incluant les conducteurs automobiles», fait valoir le titulaire de la chaire en énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau.
Plus efficace que les bonus
Le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche, approuve cette mesure d’écofiscalité, soulignant que «les malus sont beaucoup plus efficaces que les bonus» pour faire changer les habitudes de consommation.
«Certaines personnes, pour des raisons d’économie, décideront d’opter pour un plus petit véhicule. C’est la seule manière d’éviter cet impôt», dit-il.
Le professeur Pineau cite l’exemple du tabac. «Ce qui a fonctionné pour réduire la consommation [de tabac], c’est de l’information, des restrictions sur les endroits où fumer et des taxes sur les cigarettes. Il faudrait un combo un peu semblable pour les véhicules» illustre-t-il.
Les ventes de VUS et autres camions légers ne cessent de croître année après année, confirme la plus récente édition de l’État de l’énergie au Québec, corédigé par l’expert.
• À lire aussi: «Lâchez-moi avec les GES»: pourquoi on ne peut pas ignorer les GES quand on parle du 3e lien
Entre 1990 et 2019, leur nombre a bondi de 319% sur les routes de la province. Ces gros véhicules constituent la principale cause de la hausse des émissions de GES au Québec.
En 2020, ils représentaient 71% du marché de l’automobile, contre 7% pour les voitures électriques. Cette même année, il s’est vendu près de 15 camions légers pour chaque véhicule électrique.
«Ces tendances sont contraires à l’atteinte des cibles de réduction des émissions de GES», signale le rapport.
Les subventions gouvernementales ne semblent donc pas suffisantes pour convaincre les automobilistes de se tourner vers les voitures électriques, et d’abandonner les camions légers, rappelle Jean-Philippe Meloche.
Une mesure encore trop timide
Bien qu’ils saluent la mesure proposée par QS, certains experts croient que cette politique n’est pas assez «radicale», sachant que les Québécois dépensent de plus en plus pour leurs véhicules.
Entre 2017 et 2020, le prix moyen de vente a bondi de 14%, passant de 37 099$ à 42 168$.
«La proposition de QS est un pas dans la bonne direction, mais trop timide encore», reconnaît le professeur Pineau. «Il faudrait des montants comparables à ceux en Europe.»
• À lire aussi: Finie l’essence au défilé de la Fierté
En France, un «malus écologique» est imposé depuis 2008 sur les véhicules qui émettent 128 g et plus de CO2 par km. Cette taxe peut atteindre jusqu’à 40 000 euros (52 524$).
Un second malus a été mis en place le 1er janvier 2022 pour les véhicules de plus 1800 kg. Les propriétaires de ces camions doivent payer 10 euros (13$) par kilo excédentaire.
Les camions légers représentent aujourd’hui près de 40% des ventes de voitures neuves au pays, selon le Fonds mondial pour la nature.
«Pour moi, il ne faut pas seulement taxer les gros véhicules à essence pour encourager l’achat de petits véhicules», soutient quant à lui le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, Normand Mousseau. «Les gros véhicules électriques mettent une pression inutile sur le réseau électrique, pendant les pointes hivernales surtout.»
Réduire l’auto-solo
Même chose pour Jean-Philippe Meloche, qui estime que financer l’achat de voitures électriques «n’est pas une mesure si verte que ça».
«Subventionner le marché de l’automobile, même électrique, c’est subventionner l’utilisation de l’automobile. Tous les véhicules sont polluants, sans parler de la construction et la réparation des routes», explique le spécialiste.
«On est mieux de récompenser les personnes qui utilisent le transport en commun ou le transport actif. On veut que les gens utilisent le moins possible l’automobile.»
• À lire aussi: Nos politiciens ignorent-ils la crise climatique?
Pour le professeur au département de sciences économiques de l’Université de Montréal, Michel Poitevin, l’approche de Québec solidaire n’est pas la meilleure solution pour convaincre les usagers de routes d’abandonner les gros véhicules.
Imposer une taxe sur l’essence serait, selon lui, une mesure beaucoup plus payante. «Ce qui crée les émissions de GES, c’est brûler du pétrole», lance-t-il.
«Les études démontrent qu’il y aurait réellement un impact sur la consommation d’essence et les émissions de GES si le prix du litre se situait entre 3$ et 4$. Politiquement, taxer les VUS est peut-être plus acceptable que de doubler le prix de l’essence, mais je ne pense pas que c’est la méthode la plus efficace», conclut M. Poitevin.
À voir aussi: