« C’est le jackpot ! » Le géologue affiche un enthousiasme communicatif, penché sur son microscope de terrain, lui-même braqué sur une pierre d’allure banale au premier abord. Sur l’écran connecté au microscope, les minuscules organismes marins accrochés à la roche se dévoilent dans toute leur diversité. « On a des bryozoaires, mais aussi d’autres unicellulaires comme ces foraminifères, et encore d’autres… Franchement, on ne pouvait pas rêver mieux ! », reprend Pierre Sans-Jofre, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris. Bien loin de la capitale, la scène se déroule en réalité il y a quelques semaines dans le grand carré d’un voilier polaire slalomant entre les icebergs du fjord Scoresby, le plus grand du monde, sur la côte est du Groenland. Avec cette roche extraite des eaux glacées quelques heures plus tôt, le chercheur espère comprendre comment les changements climatiques affectent les micro-organismes qui vivent ici, premiers maillons du fragile écosystème arctique.
Pour partager l’enthousiasme du géologue, il faut revenir en septembre 2019, quand Pierre Sans-Jofre devient responsable scientifique de la collection de géologie générale du MNHN. Dans l’imposant bâtiment construit en 1833 dans le Jardin des plantes, une partie fermée au public recèle un véritable trésor géologique : deux couloirs de 100 mètres de long flanqués de lourds tiroirs en bois, du sol au plafond. Précisément 12 000 tiroirs renfermant quelque 800 000 échantillons de roches, sables ou minéraux, pour la plupart issus d’expéditions scientifiques du début du XXᵉ siècle. « L’un des rares endroits au monde qui réunit des roches d’absolument tous les pays dans un rayon de 50 mètres », s’amuse le chercheur. Même en toute une vie, impossible d’en faire le tour.
De la taille d’un grain de sable
Loin de se décourager face à l’ampleur de la tâche, le nouveau responsable des collections préfère voir dans ce capharnaüm minéral des opportunités de recherche. Pierre Sans-Jofre choisit avec soin certains tiroirs présentant un intérêt géologique, mais aussi historique : des restes calcinés de Pompéi, des roches du tombeau de Napoléon ou encore des échantillons ramenés par l’explorateur Jean-Baptiste Charcot un siècle plus tôt. « C’est à ce moment que j’ai rencontré Vincent Hilaire, le directeur de Greenlandia, qui s’intéressait à tout ce qu’avait fait le commandant Charcot au Groenland », se souvient Pierre Sans-Jofre.
Le projet Greenlandia, présenté comme une « initiative climatique, pédagogique, scientifique et documentaire », se penche alors, en effet, sur les impacts des changements climatiques dans la région du fjord Scoresby et de son petit village d’Ittoqqortoormiit, le plus isolé du Groenland. « En m’intéressant à ce village subissant de plein fouet les effets du dérèglement climatique, le nom de Charcot revenait sans cesse, celui-ci y ayant mené de nombreuses missions scientifiques entre 1925 et 1936 à bord de son fameux navire le Pourquoi-Pas ? », raconte l’ex-journaliste et photographe Vincent Hilaire.
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