Deux sentiers mènent au refuge des Evettes. Les initiés montent par le chemin de John – en référence à un légendaire gardien qui, dit-on, attendait les grimpeurs en musique. Le tracé suit les chaotiques gorges de la Reculaz, franchit deux passages délicats, un pont romain. Les autres empruntent la voie qui s’élance à droite du parking de l’Ecot, hameau surplombant le village de Bonneval-sur-Arc, en Haute-Maurienne (Savoie).
Une bonne marche permet de rejoindre un col en une heure et demie, où le paysage, comme le vent, saisit le randonneur. En face, un vaste cirque glaciaire et son chapelet de sommets culminant à plus de 3 000 mètres. A gauche du vallon, sur un replat rocheux, à 2 590 mètres, le refuge attend ses visiteurs du jour : familles, alpinistes, grands randonneurs. Depuis peu, le lac du Grand Méan (compter une heure trente de plus) attire également ces curieux, partagés entre l’envie de voir un glacier se jeter dans un lac et la brutale réalité à laquelle cela renvoie.
Il est aussi une autre catégorie de personnes qui montent aux Evettes. Celles-ci délaissent très vite les cimes, préférant scruter le bâtiment, ce grand L blanc à toit plat, dont les murs brillent au soleil. « Les façades sont des panneaux Matra, un fabricant de composants automobiles », notent-elles. A l’intérieur, la simplicité du plan les ravit. Une première pièce équipée d’un poêle sert de lieu de vie l’hiver. Au fond, les sanitaires. La salle commune avec vue sur le massif ainsi que la cuisine sont à gauche. A droite, un couloir dessert six dortoirs. « Des cellules de huit… Et ces portes découpées d’un seul trait de scie ! » L’espace des gardiens est au fond. Puis, elles empilent deux robustes tabourets, « 50 ans, toujours intacts », soulèvent une trappe et observent un assemblage métallique géant : la charpente.
« Un système de modules carrés si léger qu’il permet de se passer de maçonnerie et de mur porteur », explique, pour justifier l’acrobatie, Jean-François Lyon-Caen, fondateur du master sur l’architecture en montagne à l’école de Grenoble, où il a enseigné pendant quarante ans. Le bâtiment a été assemblé en un été, en 1969, par quatre « non-professionnels » munis d’un escabeau et d’un tournevis. « C’était d’une simplicité enfantine. L’objet arrive entièrement préparé. Il n’y a pas de trou à percer, pas de ciment à couler. Même Ikea, c’est plus compliqué », assure Jean Masson, 92 ans, l’un d’eux, joint par téléphone.
Sur la liste des 26 refuges à rénover en priorité
Trois hommes sont à l’origine de tout ça : l’architecte savoyard Guy Rey-Millet et les ingénieurs Jean Prouvé et Léon Petroff, le premier ayant emprunté aux deux autres leur système économe en poids et en bras. Aujourd’hui, les fenêtres fuient. Le couple de gardiens doit déneiger 20 centimètres dans la grande salle en arrivant au printemps et met « quinze jours à monter le bâtiment à 10 °C ». Surtout, le sursis accordé pour la mise aux normes incendie n’est plus que de deux ans, assurent-ils. Rien d’étonnant à ce que la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), propriétaire des lieux, ait inscrit les Evettes sur la liste des 26 refuges à rénover en priorité, parmi les 120 qu’elle possède en altitude.
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