Un large sourire aux lèvres, Rocio Fernandez-Clemente arpente ses champs de pistachiers parfaitement alignés sur la terre rougeâtre et argileuse de son village de Corral de Almaguer, dans la province espagnole de Tolède (Castille-La Manche). Sur le dernier bout de terrain qu’elle a acheté, cette ancienne coiffeuse madrilène reconvertie à l’agriculture vérifie la croissance des greffes qu’elle vient d’effectuer sur les troncs de cornicabra – « un arbre autochtone très résistant au climat », explique-t-elle.
Plus loin, elle admire les généreuses grappes de fruits qui pendent des branches des arbres adultes qu’elle a plantés il y a maintenant douze ans. « Dans vingt jours, nous pourrons commencer la récolte », conclut cette pionnière, ce vendredi 9 septembre, sans cacher sa satisfaction. Cette année encore, celle-ci promet d’être excellente.
La culture des pistachiers connaît un véritable essor en Espagne. Le royaume est devenu, l’an dernier, le premier pays d’Europe en superficie cultivée, devant l’Italie et la Grèce. Entre 2013 et 2021, la surface agricole consacrée à ce fruit importé majoritairement en Europe d’Iran et de Californie a décuplé, passant de 5 000 à 55 000 hectares, cultivés à près de 90 % en Castille-La Manche.
Signe de cet engouement, le 7 septembre, à Argamasilla de Alba, dans la province de Ciudad Real, le groupe IberoPistacho, spécialisé dans les services aux producteurs, a inauguré « la plus grande usine de transformation de pistaches d’Europe ». D’ici à 2024, celle-ci sera capable de sécher 6 000 tonnes de pistaches durant la campagne de récolte, qui s’étend sur une vingtaine de jours par an. Et partout dans les champs de la communauté autonome, c’est l’effervescence.
« Le temps m’a donné raison »
Sur les sols pauvres et arides de cette région du centre de l’Espagne, soumise à un climat extrême – des hivers glacials et des étés torrides aux pluies rares –, les agriculteurs ont longtemps pensé ne pas avoir d’alternative aux vignes, oliveraies et céréales, dont les immenses champs s’étendent à perte de vue. Ce climat rude, pourtant, est idéal pour le pistachier, un arbre résistant, très peu gourmand en eau, qui a besoin d’un hiver froid et d’un été chaud, et dont les fruits, réputés pour leurs bienfaits nutritionnels, se vendent sur le marché de gros entre 7 et 10 euros le kilo en ce moment, et dépassaient les 15 euros, en 2021.
« Quand, en 2010, j’ai décidé de planter des pistachiers sur les 17 hectares de terres céréalières que mon père m’avait légués, tout le monde m’a pris pour une inconsciente. Personne d’autre ici ne l’avait fait, mais je savais qu’avec moins de 200 hectares de céréales on ne peut pas vivre de ses terres, et je ne voulais ni m’en défaire ni perdre le lien avec le village de mon grand-père, explique Rocio, en perçant de ses ongles courts la peau épaisse, verte et parfumée d’une pistache pour en extraire une coque déjà ouverte dans laquelle apparaît un fruit frais à la saveur délicate. J’ai cherché sur Internet une alternative et j’ai trouvé des informations sur le pistachier. Je suis tombée amoureuse de cet arbre… »
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