Pour refroidir les pôles, vous l’imaginez bien, inutile de songer à allumer un climatiseur géant. Des chercheurs, en revanche, envisagent très sérieusement de déployer comme un immense parasol. Une opération qu’ils jugent aujourd’hui techniquement faisable. Mais à quel prix ?
En Antarctique, le « glacier de la fin du monde » ne tient plus qu’à un fil. Et le Groenland, lui, vient de connaître un épisode de fonte des glaces sans précédent. Sous l’effet du réchauffement climatique, la température grimpe en flèche du côté des pôles. Faisant de plus en plus craindre des conséquences désastreuses un peu partout sur la Planète.
Fonte des glaces. Montée des eaux. C’est pour prévenir ces conséquences que des chercheurs travaillent depuis des années sur des projets un peu fous dits de géoingénierie. De géoingénierie ? « Ce que nous pourrions faire… si nous continuons à ne rien faire », ironisait David Keith, physicien à l’université de Harvard (États-Unis), à l’occasion d’une conférence TedEx en 2007. Comprenez, des projets d’intervention climatique globale. La mise en œuvre de technologies destinées à modifier intentionnellement notre climat. Sans avoir à limiter nos émissions de gaz à effet de serre.
Injecter des aérosols dans la stratosphère. C’est l’une des techniques de géoingénierie envisagées par certains chercheurs pour limiter le réchauffement climatique anthropique. Une technique qu’ils pensaient jusqu’alors devoir implémenter au niveau mondial et dont ils imaginent pouvoir désormais limiter le déploiement aux seuls pôles. En effet, les projets se précisent. Puisqu’une équipe, toujours de l’université de Harvard, avance même qu’il pourrait être faisable et bon marché d’inverser la marche du réchauffement climatique dans ces régions particulièrement touchées que sont les pôles.
Pour ce faire, les chercheurs envisagent d’injecter quelque 13 millions de tonnes de particules d’aérosols — du dioxyde de souffre — microscopiques dans l’atmosphère. Depuis des avions volant à plus de 13.000 mètres d’altitude. Le tout à des latitudes de 60 degrés, nord et sud. Soit à peu près la latitude d’Anchorage (Alaska) ou du sud de la Patagonie. Avec pour objectif de renvoyer directement vers l’espace, une infime partie du rayonnement solaire qui arrive sur les régions polaires. Notamment pendant les longues journées du printemps et du début de l’été. Une sorte de gigantesque parasol.
Les chercheurs ont même déjà identifié les jets qui pourraient être utilisés. Une flotte d’environ 125 ravitailleurs à haute altitude les plus récemment construits — comme le Sail-43K — permettrait, selon eux, de faire baisser la température des pôles de 2 °C par an. Pour la modique somme de 11 milliards de dollars à investir chaque année. Une somme ! Mais tout de même moins d’un tiers de ce que coûterait la même opération sur la Planète entière et une infime fraction du budget qu’il faudrait allouer pour atteindre le zéro émission nette.
Jouer avec le feu
Cependant, la comparaison est-elle bien raisonnable ? Au dire des auteurs de l’étude eux-mêmes, pas tout à fait. « C’est de l’aspirine, pas de la pénicilline. Ce que nous proposons n’est pas un substitut à la décarbonation. » Parce qu’injecter des particules soufrées dans l’atmosphère, c’est bien tenter de traiter les maux, sans se soucier des causes.
L’occasion de retarder au moins l’élévation du niveau de la mer, avancent certains partisans de la géoingénierie. À ceci près que personne ne sait exactement quelles pourraient être les conséquences d’une telle opération.
Les chercheurs de l’université de Harvard comptent limiter les effets non souhaités justement en injectant leurs microparticules au-dessus de régions très peu peuplées, et sur lesquelles les terres agricoles sont rares, pour réduire au maximum les risques d’interactions. Parce qu’il faut savoir qu’à un niveau élevé, le dioxyde de soufre est connu pour provoquer des nausées, des vomissements, des douleurs à l’estomac et des dommages aux voies respiratoires et aux poumons. Il pourrait également avoir un effet néfaste sur le rendement des cultures. Ainsi que sur le cycle de l’eau.
Et pas seulement du côté des pôles. « Ce qui se passe en Arctique ne reste pas en Arctique », assurent une majorité d’experts de la question. La région étant connue pour son rôle de véritable régulateur du climat mondial.
Slimane Bekki, chercheur au CNRS, que nous avions interrogé il y a quelque temps sur la question de l’injection de souffre dans la stratosphère, nous mettait alors très clairement en garde : « Nous pouvons tourner le problème dans tous les sens. Nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Et quand je dis réduire, c’est désormais bien de manière agressive. Pas de la manière marginale dont nous l’avons fait jusqu’à maintenant. Parce qu’en réalité soyez-en sûr : il n’y a pas plus de plan de secours pour le climat que de planète de secours. »